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anciens astronomes de l’Observatoire sont mises très galamment à la disposition des femmes du monde et que c’est dans les albums des dames plutôt que dans les archives de l’Institut qu’on a chance de trouver des autographes de Fermat, Descartes et autres géomètres. » Vous verrez encore dans la même brochure qu’à la vente d’un membre célèbre du Bureau des longitudes, M. Buache, quatre-vingts portefeuilles ou cartons de manuscrits, rapports, lettres de savans, etc., furent adjugés à vil prix, tous papiers provenant de dépôts publics, et, par parenthèse, je me souviens d’y avoir vu l’autographe d’un ministre défendant au même Buache de vendre des autographes. Le maréchal de Villars dit dans ses mémoires que le testament de Louis XIII, en original, fut trouvé chez les épiciers et le traité d’Osnabruck chez les beurriers. Voilà pourquoi tant d’autographes curieux vont courant le monde. Aujourd’hui on a pris des mesures très judicieuses pour que toutes ces collections sortissent de France : c’est de faire des procès aux gens qui les ont loyalement achetées. Il y a peu d’années, on n’y regardait pas de si près. Tous les amateurs ont vu à la vente de la marquise de Dolomieu une lettre de Napoléon que l’Institut aurait dû mieux garder dans ses archives, et personne ne s’est opposé à la vente. Je suis loin d’en faire un reproche à la justice. J’aurais trouvé même parfaitement mal qu’on intentât un procès aux héritiers de M. Buache ou bien à M. de Montmerqué, parce qu’ils ont mis en vente des autographes évidemment sortis de dépôts publics ; mais il me semble dur qu’on accuse M. Libri de vol, parce qu’il possède des pièces du même genre. Lui au moins a cherché à en faire un usage utile. Après avoir acheté chez un épicier de Metz les papiers de Fermat dans la collection d’Arbogast (laquelle, par parenthèse, contenait des lettres de Descartes, qu’Arbogast dit avoir trouvées à l’Institut), M. Libri s’empressa d’annoncer sa découverte au monde savant, proposa de donner gratuitement ses soins pour la publication de ces manuscrits, et refusant de les vendre à M. Villemain, ministre de l’instruction publique, qui voulait en faire l’acquisition, offrit de les donner à la Bibliothèque nationale. Qu’on accuse à cette occasion tant qu’on voudra M. Libri d’orgueil et de vanité, je passerai condamnation, s’il le faut ; mais on m’accordera que de tels procédés ne sont pas ceux d’un voleur.

En résumé, monsieur, la logique, le bon sens et, j’ajouterai, l’humanité, voulaient qu’on raisonnât comme il suit, avant d’accuser M. Libri : Telle bibliothèque a perdu tel livre, des preuves existent que ce livre a été volé par M. Libri : donc M. Libri est un voleur ; mais on syllogise tout autrement. On dit : M. Libri est un voleur ; donc il a volé tel livre, car ce livre manque à telle bibliothèque.

Je vous ai parlé, en commençant ma lettre, de la tendance générale