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à la Mazarine son exemplaire de la Galeomyomachia complet, et l’acte d’accusation veut que ce cadeau soit une restitution. Toujours le même argument : la Mazarine a perdu un livre, donc M. Libri l’a volé. À l’appui de cette assertion, l’on cite le témoignage des conservateurs qui, après l’examen le plus attentif, n’ont pas reconnu leur exemplaire. — Qu’importe ? dit le juge ; d’où vous vient votre Galeomyomachia ? Si vous possédiez depuis si longues années ce monument typographique, comment cette possession a-t-elle été si long-temps en France ignorée du monde savant ? — En effet, la révolution de 1830, l’invention de Daguerre, la découverte des monumens de Ninive, ne pouvaient empêcher le monde savant de se préoccuper de la Galeomyomachia ; mais cette question, monsieur le juge, est-on forcé d’y répondre ? Vous-même, qui peut-être n’avez que cent cinquante volumes dans votre bibliothèque, me diriez-vous quand, de qui, et combien vous avez acheté vos cinq codes ? Croyez-vous qu’un homme qui a trente mille volumes, et qui en a peut-être acheté ou vendu cent mille, se rappelle toutes ces circonstances ? — Mais la Galeomyomachia !… - En effet, M. Libri se rappelle qu’il la possédait avant son voyage en France, et il m’a envoyé une lettre de M. Piazzini, datée de 1829, timbrée de la poste, lequel lui renvoie avec des remerciemens ladite Galeomyomachia que M. Libri lui avait prêtée.

Permettez-moi encore une remarque qui vous montrera comment les accusateurs de M. Libri le connaissent et s’entendent aux livres la Galeomyomachia, dit-on, avait été soigneusement lavée, rognée, magnifiquement reliée… Rognée ! apparemment que M. le juge croit qu’on rogne un livre rare ! Écoutez M. Bauzonnet, dont je tiens une lettre assez curieuse

« Monsieur,

« Vous désirez savoir si M. Libri, en donnant des livres à relier, recommandait qu’ils ne fussent pas rognés. Nous pouvons hardiment vous assurer qu’il poussait ce scrupule jusqu’à l’exagération, et surtout pour les volumes non rognés. Oh ! alors le soupçon seul était déjà un crime. Nous pouvons vous en parler savamment, car il crut un jour que nous avions touché à l’un d’eux (et cela n’était pas, nous pourrions sans crainte l’avouer aujourd’hui) ; il voulait dans son mécontentement les jeter par la fenêtre. Du reste, monsieur, tous les relieurs qui ont eu l’honneur de travailler pour M. Libri vous le diraient certainement comme nous. »

Il est plus intéressant d’examiner une autre partie de l’acte d’accusation, qui contient des insinuations bien plus graves, et qu’il n’est guère permis de produire à la légère, surtout quand la vérification