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est très facile. Je veux parler du passage où il est question du don fait par M. Libri à la bibliothèque Magliabecchiana d’une grande quantité d’autographes dérobés à cet établissement. Selon l’acte d’accusation, M. Libri les aurait payés 1,500 francs, et se serait fait rembourser 2,400 francs, bénéfice net 900 francs. En outre on ajoute, avec une négligence un peu trop apprêtée, que le vendeur, peut-être le receleur de ces autographes, était un Italien nommé Trucchi, ami intime de M. Libri, qu’il tutoyait. On se garde de tirer de cette circonstance aucune induction, mais il y a là un emploi fort habile d’une figure de rhétorique appelée aposiopèse par quelques-uns, et réticence par d’autres. Rhétorique à part, l’affaire était de celles qui méritaient d’être éclaircies. Si M. Libri a escroqué 900 francs au grand-duc de Toscane, je croirai qu’il a volé tous les livres possibles, même ceux que la Mazarine n’a pas perdus. Pourquoi ne pas aller aux informations ? Il y a un ministre de Toscane à Paris, un ministre français à Florence, et d’ailleurs la vente s’est faite à Paris par devant notaire. Essayons d’être plus curieux que M. le juge.

Voici, monsieur, ce que j’ai appris sur cette affaire : en 1844, M. Libri vint en Italie voir sa mère malade, et il négligea, dans son empressement, de se mettre parfaitement en règle avec la police toscane ; mais il était alors ami du ministre des affaires étrangères de France, et il fut bien accueilli partout. Vous pensez que ses premières visites furent pour les archives des Médicis, où long-temps auparavant il avait fait des découvertes très curieuses. Par forme de digression, il faut que je vous conte une de ses trouvailles.

Ce fut une enveloppe cachetée, contenant, à ce qu’il semblait, une poignée de crin, déposée dans les archives par le cardinal Hippolyte de Médicis, avec cette inscription de sa main : Barba pelata da me cardinale Ippolito, d’in sul griffaccio di quel traditor di gian Luca Orsini, quel di ch’ io gli diede una pugnalata nell’ anticamera del Papa. Revoyant ce dépôt, où sont conservées de si précieuses reliques, M. Libri crut y remarquer des soustractions considérables et s’exprima irrévérencieusement sur le compte des employés supérieurs. Sur quoi, on lui interdit l’entrée de la bibliothèque. Aussitôt M. Libri se piqua au jeu, comme dit l’acte d’accusation, et n’eut de repos qu’il n’eût démontré au grand-duc de quelle façon on conservait ses archives. Il sut qu’à Paris, un libraire nommé Charon vendait des autographes provenant de la bibliothèque Magliabecchiana, et qu’il les tenait d’un Italien nommé Trucchi, lequel a publié, je crois, quelques volumes d’anciennes poésies tirées de la bibliothèque du Vatican. Ce n’est pas mon affaire de savoir si M. Trucchi avait eu ces autographes par héritage ou autrement, et je ne cite son nom que pour rappeler une méprise du juge, qui, saisissant