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les enfans eux-mêmes, ravis de leur ouvrage, appellent à grands cris leur mère, et quand celle-ci vient, pour leur complaire, admirer cette création de nouvel ordre, éblouie par un regard du soleil couchant qui donne en plein sur la statue, elle croit réellement voir une petite fille aux blonds cheveux, aux yeux brillans, tombée comme du ciel au milieu du jardin. L’illusion des enfans est encore plus forte. Ils ont une sœur, une sœur qui va vivre, dont les yeux s’allument aux feux de l’occident, dont leurs baisers vont réchauffer les joues un peu pâles et les lèvres prêtes à se colorer de pourpre.

Le miracle s’accomplit, la petite image s’anime, comme autrefois Galatée, et l’excellente mistress Lindsey, la mère de Violet et de Peony, en vient à se demander quelle imprudente voisine a laissé sortir de chez elle, par un froid glacial, vêtue d’une simple robe blanche, une si charmante enfant. Elle s’étonne aussi de la voir courir et sauter, mais sans dire un mot. Enfin ce n’est pas sans quelque surprise qu’elle voit une volée d’oiseaux venir s’abattre familièrement sur le cou, les bras, les épaules de la nouvelle compagne que Violet vient de se donner. Tandis qu’elle ne sait ni que penser ni que résoudre, M. Lindsey paraît à la porte du jardin.

M. Lindsey est un marchand de fers, brusque et bienveillant, allant droit au fait en toute occasions et ne connaissant au monde qu’une chose dont il fasse cas : — le bon sens, le sens commun. La présence de la petite étrangère blanche, à cette heure, dans son jardin, en si léger costume, lui cause dès l’abord une perplexité fort grande. Elle ne fait qu’augmenter, cette perplexité si naturelle, lorsque son excellente femme essaie de lui persuader qu’elle a vu, de ses yeux vu, la miraculeuse transformation s’opérer d’une image de neige en un enfant agile et joueur. Encore n’ose-t-elle le lui dire qu’en secret et par forme de plaisanterie. Les enfans l’affirment plus sérieusement ; mais le marchand de fers, — l’admettra-t-on ? — s’obstine dans son incrédulité. À son avis, cette enfant ne peut rester dehors ; elle va prendre mal, si peu défendue contre le froid. Encore si elle avait la moindre pelisse ! Mais il faut qu’elle rentre au plus vite, qu’on aille de maison en maison demander à qui elle appartient, et qu’on la fasse, au besoin, crier par la ville.

Violet et Peony néanmoins, dans leur sagesse enfantine, s’opposent à cette charité mal entendue. Leur petite sœur de neige n’aime pas le feu. Qu’on se garde bien de l’approcher du calorifère… Mais bah ! l’homme de bon sens a déjà saisi par la main la petite étrangère, et bien qu’elle se débatte, bien qu’elle lui échappe, bien qu’il lui faille courir après cette espèce de sylphe blanc, léger comme un de ces tourbillons que le vent forme sur la neige à peine tombée, l’obstiné Lindsey la rejoint, l’accule à l’angle d’un mur, s’empare d’elle, malgré