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Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/367

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que possible, où les excentricités ont pleine carrière, on vous dirait qu’un prêtre, un ministre de Dieu, a paru tout à coup au milieu de ses paroissiens, la face couverte d’un voile noir, et qu’il a fait, qu’il a tenu le serment de ne jamais quitter ce voile, même après sa mort, même dans sa bière : — vous avez ouï parler de bizarreries pareilles, et, le premier moment passé, vous n’attacheriez pas une grande importance à celle-ci. Enfin vous liriez dans un journal qu’un bon bourgeois marié, las de la vie de famille, a tout à coup quitté son domicile, et, sous un faux nom, déguisant de son mieux sa figure, a voulu, après sa disparition, habiter une autre rue de la capitale ; que sa femme s’est crue veuve, mais lui est restée fidèle ; que lui-même n’a point abusé, pour former d’autres liens, de sa liberté si singulièrement reconquise ; que vingt ans se sont écoulés ainsi, et qu’au bout de ce temps, un beau soir, notre original, rentrant chez lui comme, après une promenade, a repris possession de son ménage : — c’est tout au plus si ce nouveau Belphégor vous ferait penser au joli récit de La Fontaine.

Avec Hawthorne, rien ne se perd si vite, et voilà le sujet de trois de ses contes, non les moins intéressans. Dans le premier (the Birth-Mark), il essaiera de symboliser l’égoïsme de la science contrastant avec le dévouement de l’amour. La femme marquée a pour mari un chimiste, ou plutôt un alchimiste, habitué à lutter avec les caprices de la nature. Passé le premier enivrement du bonheur, il prend en haine le signe qui trouble seul la parfaite harmonie des traits de sa femme. Ce sentiment, qui perce malgré lui dans ses regards, et que bientôt il ne se fait plus scrupule d’exprimer tout haut, jette son infortunée compagne dans une sorte de désespoir. Pour effacer ce signe odieux qui lui ôte l’amour de son mari, elle est prête à tout souffrir, à tout risquer. Lui, de son côté, croit pouvoir trouver dans les arcanes encore inexpérimentés de la science, et au-delà des bornes qu’on lui connaît, les moyens d’en finir avec ce stygmate dont la vue l’obsède. On assiste à ce combat terrible que le chimiste livre à Dieu lui-même ; on pressent que l’issue en sera fatale à quelqu’un ; on voit enfin périr, dans une épreuve suprême, et sans trop regretter la vie, la noble et courageuse épouse qui s’est elle-même offerte, victime dévouée, à l’implacable curiosité du savant. Presque heureuse de mourir si elle n’acquiert pas la perfection qu’il veut lui rendre, elle le quitte sans un reproche, regrettant seulement le bonheur qu’elle aurait pu lui donner, si, plus complètement sage, il se fût contenté de la posséder, véritable ange du ciel, avec la marque indélébile de sa terrestre origine.

L’histoire du Ministre voilé (the Minister’s black veil) est encore une véritable parabole. Une note nous apprend qu’elle est fondée sur un fait exact, et qu’un ecclésiastique de la Nouvelle-Angleterre, ayant tué par accident un de ses amis les plus chers, cacha sa figure à tous les