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avait besoin de se rappeler que M. de Narbonne avait été ministre de la guerre au temps de l’assemblée législative, et qu’il avait grandement contribué, dans un ministère de trois mois, à organiser les armées qui gagnèrent les premières batailles de la révolution. Du reste, l’inquiétude dura peu : on sut bientôt que le rapport avait été favorable, que M. de Narbonne avait dit qu’il était charmé de tout à l’École hormis du logement ; qu’il ne voulait pas en tirer un horoscope sur l’avenir littéraire des élèves, mais qu’il n’avait jamais vu tant de jeunes gens d’esprit dans un grenier. On ajouta presque officiellement qu’on était près de l’empereur content d’une institution à laquelle, nous dit-on, sa majesté mettait le plus grand prix, et qui était présente à sa pensée. Cela fit espérer à notre respectable chef que bientôt l’École serait constituée comme l’annonçait l’article 110 du décret du 17 mars, avec les trois cents élèves qui lui étaient promis, un vaste mobilier scientifique, de grands bâtimens à part, et un beau jardin pour les études botaniques. M. Guéroult espérait que ce décret d’installation nous arriverait dans quelques mois, daté au moins de Varsovie ou de Vilna.

Pour moi, sans prévoyance comme on l’est dans l’extrême jeunesse, je me bornais à l’envie de savoir quel air avait eu notre conférence, et, si l’homme supérieur autant qu’aimable qui m’honorait de sa bienveillance était content de nous. J’allai, trois ou quatre jours après, à la découverte chez M. de Narbonne, qui arrivait de Saint-Cloud, où son service l’avait retenu, et où il était souvent, disait-on, admis à l’entretien familier de l’empereur. « Eh bien ! me dit-il, ma visite a-t-elle fait plaisir rue Saint-Jacques ? car j’en ai été un peu grondé ailleurs ; mais j’ai entendu en revanche de très graves réflexions sur l’École normale, l’enseignement public, et, comme dit l’empereur, la moyenne intellectuelle nécessaire à un peuple, et la gloire des lettres nécessaire à un grand peuple. Je vous aurais souhaité là, dans un coin, avec votre vive attention, pour n’en rien perdre ; mais, malgré la difficulté de la controverse avec un homme qui commande à plus de trente légions, j’ai assez discuté pour me bien souvenir des objections et des avertissemens du maître ; et je veux vous en dire quelque chose, pour votre bien. »

Je fus alors, je l’avoue, tout étonné de cette importance de cabinet donnée à l’incident d’une visite à l’École normale, et malgré cette présomption, maladie trop naturelle des commençans littéraires, je ne concevais pas qu’il y eût dans la tête qui dominait l’Europe une place réservée pour l’École normale et une attention curieuse pour l’objet de ses études. Je marquai cette surprise. « Vous n’y entendez rien, me dit M. de Narbonne. L’empereur, si puissant, si victorieux, n’est inquiet que d’une chose dans le monde, les gens qui parlent, et à leur