Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/382

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soit avec la tactique et les feux de l’art moderne, soit avec les instrumens inférieurs de mort dont disposait l’antiquité.

« Pour nous qui avons tant fait la guerre, pour vous qui avez su l’organiser, voilà l’idée qu’il faut donner de cette puissance divine du commandement militaire. Maintenant allons au fait. Quelle est la morale de ce parlage magnifique de Sylla ? Aucune. L’écrivain ou son pseudonyme grec a l’air de donner des regrets à cette ancienne république romaine qui ne pouvait plus durer trois jours. Il craint que Sylla n’ait donné un fâcheux exemple en prenant le pouvoir, et une inutile leçon de modération en le quittant. Est-ce là ce qu’aurait dit Machiavel et ce que devait penser un esprit politique ? N’était-ce pas le moment de comprendre et de bien expliquer la nécessité de ce qui, dans le monde, revient à certaines dates, de ce que moi je devais faire dix-neuf cents ans plus tard ? Non, je le répète, rien de cette pompeuse analyse des actes de Sylla n’est vrai, et la faire admirer, c’est fausser de jeunes esprits. Il y a cependant un grand mot dans ce dialogue de brillant sophiste. « J’ai étonné les hommes, dit Sylla, et c’est beaucoup. » Sans doute ; mais ce n’est pas tout.

« J’étonnais les hommes, en revenant de Campo-Formio, après avoir battu Wurmser et tant d’autres. J’étonnais les hommes en débarquant tout seul d’Égypte. Cela est bon pour commencer ; mais il a fallu quatre ans de bonne administration, de ralliement des partis, d’équité, d’actes réparateurs, pour fonder quelque chose. Il a fallu mettre ensemble Treilhard et Tronchet, Merlin et Barbé-Marbois, les dominateurs déchus et les proscrits réhabilités, et faire marcher de front tout le monde à la gloire d’une époque nouvelle. Ma plus grande victoire, ce fut mon gouvernement civil. Sauf deux ou trois opiniâtres, je ne laissai rien de considérable en dehors, et j’enveloppai tout dans ma toge consulaire.

« Mais le XVIIIe siècle, hormis Frédéric II, n’entendait rien à l’art de gouverner. Celui-là seul avait appris la politique en faisant la guerre. Le reste et les gens de lettres surtout, y compris Montesquieu, singeaient Tacite et ne voyaient rien au-delà ; et Tacite, vous le savez, fausse l’histoire pour peindre éloquemment. Il calomnie l’empire ; il est de la minorité, du vieux parti de Brutus et de Cassius. C’est un sénateur mécontent, un boudeur d’Auteuil, qui se venge la plume à la main dans son cabinet. Il a des rancunes d’aristocrate et de philosophe tout à la fois ; il subtilise avec mauvaise humeur, et ne comprend pas la grande unité de l’empire, cette unité qui, même avec des princes médiocres ou à moitié fous, tenait tant de peuples dans l’obéissance de l’Italie romaine. Le règne des empereurs fut une grande ère d’égalité, sauf l’esclavage domestique, s’entend. Il donna au monde ce qu’aime aujourd’hui la France. Claude même fut populaire, en nationalisant