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ni même le héros n’est à mon gré. Marc-Aurèle, c’est une sorte de Joseph II dans de plus grandes proportions, philanthrope et sectaire, en commerce avec les sophistes, les idéologues du temps, les flattant, les imitant et persécutant les chrétiens, comme Joseph II les catholiques des Pays-Bas. J’aime mieux Dioclétien, sur la peau duquel Chateaubriand a voulu m’égratigner un peu dans ses Martyrs. Il a bien choisi la comparaison ! Je n’abdique pas, moi ; je ne vais pas planter des laitues à Salone. C’est une différence. Du reste, Dioclétien, jusqu’à sa maladie de langueur, fut un grand prince, administrateur, guerrier, nullement contemplatif, et par là plus utile à l’empire que Marc-Aurèle entre sa femme Faustine et son fils Commode.

« Je me résume sur cette question très grave des études, car l’éducation publique, c’est l’avenir de l’empire et la durée de mon œuvre après moi. Il faut que l’enseignement public soit avant tout judicieux et classique. Point d’histoire systématique, point de ces conjectures déclamatoires qui expliquent mal les grands hommes et falsifient les événemens pour en tirer une morale de commande. Que veut dire Montesquieu avec ces distinctions raffinées, avec cet héroïsme de Sylla qui, dit-il, « était un héroïsme de principe plus funeste qu’un héroïsme d’impétuosité ? » Toiles d’araignée que tout cela ! Dans l’homme fort, tout est à la fois raison et mouvement ; il veut impétueusement ce qu’il a conçu par une réflexion profonde, et son héroïsme est d’une seule pièce. Sylla a saisi violemment le pouvoir, parce qu’il se sentait capable de le porter, parce que le temps de l’empire approchait et qu’il y a toujours des essais avant la fondation finale. Il l’a quitté, parce qu’il vieillissait, qu’il était malade, qu’il avait un spleen, une humeur noire, un de ces accidens intérieurs de l’homme qui, dégoûtant de la vie, peuvent bien dégoûter de l’empire. Je n’aime pas le livre du sénateur Cabanis ; mais, j’en conviens, le physique est pour beaucoup dans l’homme, et il y a bien des choses qui s’expliquent mieux par là que par la métaphysique creuse et par les distinctions entre l’ame grande et l’ame haute, comme en fait Montesquieu.

« Avant tout, mettons la jeunesse au régime des saines et fortes lectures. Corneille, Bossuet, voilà les maîtres qu’il lui faut. Cela est grand, sublime, et en même temps régulier, paisible, subordonné. Ah ! ceux-là ne font pas de révolutions ; ils n’en inspirent pas. Ils entrent à pleines voiles d’obéissance dans l’ordre établi de leur temps ; ils le fortifient, ils le décorent. Quel chef-d’œuvre que Cinna ! comme cela est construit ! comme il est évident qu’Octave, malgré les taches de sang du triumvirat, est nécessaire à l’empire, et l’empire à Rome ! La première fois que j’entendis ce langage, je fus comme illuminé, et j’aperçus clairement dans la politique et dans la poésie des horizons que je n’avais pas encore soupçonnés, mais que je reconnus faits pour moi. Le cardinal