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mort, l’incrédulité de l’humoriste continue sa tâche ; mais tournez la page, cette triste impression s’évanouira : de belles strophes éplorées vont supplier les anges du ciel de prendre la place du poète dans la maison en deuil et d’être les vigilans gardiens de celle qu’il vient de persifler.

Ce que je cherche avidement au milieu de ces confidences où une larme furtive est si tôt séchée par le rire, ce sont quelques renseignemens sur les émotions religieuses de l’auteur. Le dernier livre du Romancero se compose de Mélodies hébraïques, et il semble que ce chant final doive contenir la véritable pensée de M. Henri Heine. Écoutez ces mélodies : on dirait que des souvenirs endormis se réveillent, que des sentimens effacés se raniment au fond de son cœur. Ces vieux Juifs, ces mangeurs de schiboleth qu’il a tant de fois bafoués, il en parle dans la première pièce de cette série, la Princesse Sabbath, avec je ne sais quel embarras où se trahit une affection respectueuse. Or la plus belle pièce de ce livre, la plus belle et la plus poétique composition à mon avis du Romancero tout entier est consacrée au grand poète juif du moyen-âge, Jehuda ben Halevy. Elle vaut la peine qu’on s’y arrête. Le poète songe à Jehuda ben Halevy, il entend résonner dans son esprit les strophes du vieux rabbin : c’est ce chant du prince Israël et de la princesse Sabbath. Il croit apercevoir d’austères figures de vieux Juifs, il voit des ombres à longues barbes, il reconnaît Jehuda ben Halevy.


« Que ma langue reste collée, brûlante, à mon palais, et que ma main droite se sèche, si je t’oublie jamais, Jérusalem ! »

« Ces paroles d’un psaume me bourdonnent aujourd’hui dans la tête, sans s’arrêter une minute ; il me semble entendre des voix, des voix d’hommes qui psalmodient.

« Par instans aussi m’apparaissent des barbes, de longues barbes d’ombres… Spectres de mes rêves, lequel de vous est Jehuda ben Halevy ?

« Mais ils glissent rapidement, ils s’évanouissent ; le grossier appel du vivant a effarouché les fantômes ; — je l’ai reconnu cependant.

« Je l’ai reconnu à ce front pâle qui porte si fièrement la pensée, à la douce fixité de ses yeux (ils me regardaient avec une attention si inquiète !).

« Surtout je l’ai reconnu au mystérieux sourire de ces deux belles lèvres harmonieusement assorties comme des rimes ; les poètes seuls en ont de semblables. »


Alors il raconté l’enfance du poète avec une tendresse mêlée de railleries aimables. Ô la grave et pieuse éducation ! Comme Jehuda chantait bien le vieux texte de la Bible avec la psalmodie consacrée ! Comme il se gargarisait gracieusement avec les grasses gutturales ! Il vivait dans le Talmud ainsi que dans un monde immense ; c’est dans le Talmud qu’il a grandi. Nul poète, depuis que le monde existe, ne reçut de graces plus abondantes. Dieu avait pris plaisir à former cette ame