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providentielle, et qu’on put croire un moment appelé à ramener le règne de la paix, de la justice et des lois. Cola Rienzi (Nicolas Gabriani était son vrai nom), Cola Rienzi déçut l’espérance du poète, comme celle du peuple. Sa courte dictature, inaugurée par des scènes théâtrales, finit, comme elle avait commencé, par un dénoûment de mélodrame. Les barons romains, qui s’étaient tant raillés du tribun, et dont quelques-uns payèrent de leur vie le mépris dédaigneux qu’ils avaient fait de ses plans réformateurs, finirent cependant par avoir raison de lui, grace à ses fautes, grace à l’inconstance populaire, mais surtout grace à la ligue du pape et des barons, divisés tant qu’ils dominèrent, réunis quand ils virent leur pouvoir mis en péril. L’histoire de Rienzi est très complète et très bien racontée dans le livre de M. Simpson, et c’est en réalité un des principaux épisodes de la vie de Pétrarque, qui, entraîné vers la cause populaire et détaché de celle des pontifes, nonobstant les faveurs dont on ne cessait de le combler, devait bientôt chercher par d’autres voies l’accomplissement de son rêve favori, la régénération de Rome et de l’Italie. Comme agent des ducs de Milan, auprès desquels il alla résider après l’avènement du cardinal d’Ostie (Innocent VI), il ne travailla guère qu’à reconstituer l’unité italienne sous un César, un empereur allemand. Il y songeait dès avant la dernière entreprise et la mort tragique de Rienzi. Déjà bien vieux enfin, lorsqu’en 1367 Urbain V parut disposé à rentrer dans Rome, Pétrarque se mit en chemin pour aller revoir, rendue à ses brillantes destinées, la ville immortelle ; mais ses infirmités l’arrêtèrent auprès de Padoue, et, lorsqu’il se sentit en état de reprendre son pèlerinage patriotique, Urbain V, effrayé de la turbulence italienne, venait de retourner à Avignon (septembre 1370). Le dernier acte public de la vie de Pétrarque fut une tentative de conciliation entre Padoue et Venise : œuvre de bon citoyen, de patriotisme éclairé, dont le succès éphémère entoura d’un suprême éclat cette carrière si pleine, si vaillamment, si utilement fournie.

M. Simpson a traité ce qui touche à Boccace avec moins de zèle et de verve. Il est vrai que, sous plus d’un rapport, il avait défloré ce sujet en retraçant à fond la vie de Pétrarque et même celle de Dante. Les trois grands écrivains du Trecento ont vécu à la même époque, d’une existence presque identique. Tous trois Toscans, tous trois animés de ce beau zèle italien qui survit encore à tant de désastres, ils furent tous trois honorés et protégés par les princes et les papes, qui se disputaient l’honneur de leur offrir asile, comme s’ils eussent compris que l’hospitalité donnée au génie errant ou fugitif est encore la meilleure garantie contre l’oubli des hommes. Tous trois d’ailleurs, ainsi que le remarque M. Simpson, ont immortalisé un nom de femme : Béatrice, Laure, Fiammetta, groupe charmant qui passe de siècle en siècle, les mains entrelacées, dans les rêves de tout poète amoureux.

Dans Boccace et dans son génie, on retrouve aisément quelque chose de son origine maternelle. Il était né à Paris (1313), et sa jeunesse s’était écoulée à Naples, auprès de ce bon roi Robert, qui, de 1309 à 1343, fut le protecteur de la renaissance littéraire ; jeunesse voluptueuse, mais nullement oisive, où de fortes études se mêlaient, on ne sait trop comment, aux enivrantes douceurs d’un amour heureux. Fiammetta (nom de fantaisie) était mariée lorsque Boccace la rencontra pour la première fois à la grand’ messe de San-Lorenzo. Comme son amant, elle devait le jour à une passion illégitime, et passait pour