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la fille naturelle du roi Robert. Elle fut moins sévère pour le jeune et beau Florentin que Laure de Noves ne l’avait été pour Pétrarque ; aussi l’enchaîna-t-elle moins long-temps. Boccace quitta Naples pour Florence après la mort de son père, et, méritant l’estime de ses concitoyens, reçut d’eux à plusieurs reprises des missions diplomatiques. Le Decameron, cette œuvre légère, fut publié la même année où Boccace allait, au nom de Florence, demander à Innocent VI comment il fallait accueillir l’empereur Charles IV. Peu d’années après, converti à une morale plus sévère, cédant à l’ascendant de ces mêmes moines dont il avait si rudement fustigé l’hypocrisie, et subissant l’influence de Pétrarque, son protecteur et son ami, Boccace aurait bien voulu arrêter la rapide célébrité de ses contes. Voeux et repentir stériles ! Pas plus que l’avide Achéron, la renommée rebelle ne lâche sa proie. On a trouvé des subtilités pour l’acquérir ; mais la perdre une fois acquise, qui donc pourrait s’en flatter ?

Pétrarque et Boccace se partagent la gloire d’avoir excité l’Italie du moyen âge à la connaissance des lettres grecques. C’est du reste un épisode romanesque dans l’histoire de la renaissance. Un savant grec, Leontio Pilato, vint à passer à Venise en 1360 ; il se rendait à la cour des papes, alors établis à Avignon. Boccace, saisissant l’occasion qui lui était offerte, détermina le voyageur à changer de projets, et, l’emmenant avec lui à Florence, il le logea, l’hébergea, le défraya de tous points, et n’eut de repos que lorsqu’il l’eut installé dans une chaire publique où, pour la première fois depuis l’extinction de la civilisation romaine, Homère fut commenté devant un auditoire italien. Pendant trois années consécutives, rassemblant à grands frais des manuscrits grecs, Boccace se fit l’élève et le collaborateur de son protégé, qu’il aida à traduire l’Iliade et l’Odyssée ; mais, un beau jour, le savant se lassa ; il voulut partir à toute force. Les instances de Pétrarque ne purent l’arrêter, et il quitta Venise, nous dit ce dernier, « vomissant mille imprécations contre l’Italie et le nom latin. » Cependant, à peine à Constantinople, un nouveau caprice lui fait prendre en dégoût sa terre natale. Il écrit à Pétrarque pour solliciter de lui les moyens de retourner à Florence. Avant de recevoir une réponse, il s’embarque, et la foudre frappe en pleine mer cet érudit à moitié fou, dont l’œuvre providentielle était achevée.

Une courte notice sur les Villani et leurs ouvrages historiques complète le travail de M. Simpson, travail qui se recommande surtout par la consciencieuse exactitude des recherches, le bon ordre de la narration, l’arrangement clair et méthodique des matières, mais auquel on pourrait souhaiter un peu moins de sécheresse, et un coloris, une vivacité qui ne sont pas absolument incompatibles avec les qualités plus sérieuses par lesquelles se recommande ce fragment d’histoire littéraire. Tel qu’il est, il offre un exposé suffisant de tout ce qu’il faut savoir pour comprendre et goûter les trois grands, poètes italiens du XIVe siècle. Nous connaissons des commentaires beaucoup plus savans, beaucoup plus originaux, beaucoup plus ingénieux ; mais ils sont par cela même moins utiles et moins pratiques : ils conviennent aux initiés ; celui-ci peut surtout servir à qui veut s’instruire.


F. DE LAGENEVAIS.


V. DE MARS.