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l’allégorie et la réalité. Sur le premier plan, nous voyons une frégate française toute gréée, qui a mis en panne et qui s’apprête à foudroyer le château et la ville de Saint-Jean-d’Ulloa, figurés sur le second plan avec une exactitude qui n’enlève rien au pittoresque. À l’horizon, on aperçoit les sommités anguleuses de la montagne qui domine la ville. Cette belle marine, exécutée sans maigreur et néanmoins avec une rare précision, car on peut compter les cordages et les embrasures du navire, est surmontée par une Victoire ailée, armée de la foudre et portant le drapeau de la France. Le jet de cette figure est d’une grande énergie. On sent que rien ne peut lui résister et qu’elle doit planter son étendard là où elle s’arrêtera. Au-dessus de la figure est inscrite la légende suivante : Jus gentium armis gallicis vindicatum. La tête du roi Louis-Philippe, gravée à la face, est d’un excellent travail. Cette médaille, commandée en 1837, n’a été achevée et frappée qu’en 1844. M. Depaulis, un de nos meilleurs graveurs, n’a qu’un seul défaut, c’est de se faire un peu attendre. C’est un de ces artistes auxquels Boileau n’eût pas eu besoin de recommander de se hâter lentement. Il termine en ce moment une belle médaille de la bataille d’Isly ; mais la gloire de cette journée a survécu au héros qui en a eu les honneurs : la composition de M. Depaulis arrivera toujours à temps.

Pour la gravure en médailles comme pour la gravure en taille-douce, cette lenteur obligée est l’occasion de singuliers mécomptes. L’artiste qui veut mettre dans ses travaux ce soin et cette conscience qui seuls leur donnent une valeur réelle, est exposé, dans ce temps de reviremens si rapides, aux mésaventures les plus singulières. Nous connaissons tel graveur de talent, grand prix de Rome, qui achevait, au moment de la révolution de février, la médaille des Princes français. Tel autre, également ancien pensionnaire de Rome, lauréat de plus d’un concours, et dont le nom a paru sur nos dernières monnaies, ne livrait que le 2 décembre dernier les coins de la médaille de la République de 1848, qui lui avait été commandée sur concours.

La médaille de la translation des restes de Napoléon est l’œuvre de M. Galle, le doyen de nos graveurs. Il suffit de jeter un coup d’œil sur le revers, d’une simplicité vraiment primitive, pour reconnaître l’école à laquelle appartient l’artiste et se rendre compte du système qu’il a suivi. Deux femmes drapées à l’antique sont debout sur une sorte de petit navire orné à la proue d’une tête de bélier, et à l’arrière duquel le coq symbolique est placé. L’une de ces deux femmes porte la couronne en tête et tient le sceptre surmonté de la main de justice. Un ample manteau recouvre son peplum ; elle se présente de face, s’appuyant de la main gauche, qui est libre, sur sa compagne. Cette dernière porte l’urne qui renferme les cendres du héros, et sur laquelle on entrevoit l’aigle impériale. La figure couronnée, c’est la France monarchique. Le navire ne sert en quelque sorte que de soubassement aux personnages groupés ; cependant, à la vue du rang de rames qui sert à le diriger à l’instar des galères antiques, l’imagination fait un travail, et sur-le-champ ces deux femmes et le coq gaulois prennent des dimensions colossales ; elles ont plus de cent pieds de haut, et le coq devient une autruche. Est-ce là l’idée que l’artiste a voulu exprimer, ou n’a-t-il pas voulu plutôt ne nous présenter que des symboles et des abstractions, s’inquiétant peu des proportions relatives des objets ? Cette médaille porte au revers cette légende : Cineres Napolionis in patriam relati,