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intérêt toutes ces pièces éphémères, ces clichés en alliage, en étain, en plomb, frappés seulement à un très petit nombre d’épreuves, témoignages de l’admiration naïve de quelques-uns, de la mauvaise humeur ou de la colère de quelques autres, et dont la plupart ont pour objet de ridiculiser de détestables passions et de bafouer tous ces grands hommes d’un jour. Ces médailles ont pu se produire à d’autres époques[1], et la première révolution nous en offre quelques spécimens, mais jamais elles ne furent si multipliées que dans ces dernières années. Que cela résulte de ce caractère goguenard et critique imprimé par le journalisme à la littérature et même à la conversation, ou provienne de toute autre cause, toujours est-il que jamais dans aucun temps le comique et le grotesque n’ont fait une pareille invasion sur le terrain neutre de la numismatique. Il semble que l’on veuille remplacer par l’épigramme ou la moquerie les flatteries d’autrefois. Aussi n’a-t-on jamais compté un pareil nombre de ces pièces singulières, que l’on peut considérer comme autant de satires ou de caricatures métalliques.

Parmi les monumens numismatiques les plus curieux de la révolution de février, nous citerons surtout les médailles des clubs : toutes ont un caractère plus ou moins anarchique. Nous signalerons dans le nombre celles du club des voraces, des sans-culottes de la Croix-Rousse, des démocrates des faubourgs, des travailleurs de Reims, de la société des droits de l’homme, du club des clubs, etc. Le club des femmes a aussi ses médailles, dont l’une représente la présidente à la tribune prononçant cette curieuse phrase disposée en légende : C’est nous qui faisons l’homme, pourquoi n’aurions-nous pas voix délibérative dans ses conseils ? Nous lisons sur une autre médaille qui nous montre ces dames en séance : La Liberté est une femme, ne laissons donc pas le pouvoir aux hommes. Une dernière médaille nous montre la vanité de ces prétentions. Le club des femmes vient d’être fermé. Entre autres inscriptions, la médaille commémorative de ce fatal événement porte d’un côté : Soleil de juillet 1848, tu ne t’es pas voilé ! et au revers : Les pauvres femmes n’ont donc ni ame ni capacité politique. Le concile de Mâcon les exclut du paradis, notre jeune république leur interdit les clubs.

Si beaucoup des médailles de la révolution de février nous montrent la république de 1848 triomphante et dans toute sa gloire, d’autres nous montrent ses malheurs et ses infirmités. L’une de ces dernières a été frappée à l’occasion des journées de juin. D’un côté, on lit au centre d’une couronne d’ossemens recoupée en croix par quatre têtes de mort placées sur deux os en sautoir 1848. État de siége, transportation des insurgés de juin, et alentour de la couronne, écrit au rebours : République des honnêtes gens. Au revers, on voit la même couronne entourée de grosses larmes ; au centre : 1848. État de siége, misère.

Une autre médaille, qui, comme la précédente, doit émaner d’un démocrate socialiste mécontent, nous représente les sept plaies de la république. — On lit d’un côté : Les sept plaies de la république de 1848 : elle y survivra quand même.

  1. Ces médailles sont fort rares sous la monarchie. Une des plus originales est celle de Law, comte de Tankerville, surintendant et contrôleur -général des finances du royaume de France, avec cette légende : — « Lundi - nous achetons - des actions, — mardi - nous avons – des millions, — mercredi - nous réglons notre ménage, — jeudi nous nous mettons en équipage, — vendredi nous allons au bal, et samedi à l’hôpital. 1720. »