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balles recueillies dans les diverses villes où l’insurrection a éclaté, et, avec ce plomb, il a fait frapper l’étrange médaille que nous allons décrire. Au centre, une balle est figurée en demi-relief. Cette balle, sur laquelle on lit plomb meurtrier, est entourée, d’un côté, de cercles concentriques contenant diverses légendes, comme par exemple : Républicains, quand nous pratiquerons la fraternité, il ne sera plus que pour nos ennemis (le plomb meurtrier). Au revers, en exergue circulaire, sont inscrits les noms des villes où l’insurrection a éclaté : Rouen, Paris, Saint-Étienne, Marseille, Nîmes, etc., avec la date de chaque insurrection particulière. Au centre, dans le champ, on lit : « Énergiques cités, j’ai fait cette médaille avec le métal trouvé dans vos blessures ; elle fera connaître à la postérité le ciment employé par les Français pour affermir la base de l’édifice démocratique de l’an de régénération 1848. » Il est difficile d’être à la fois plus naïf, plus grotesque et plus patriote.

Nous ne voulons pas nous étendre davantage sur ces médailles, qui n’ont aucune valeur au point de vue de l’art, et dont les auteurs, comme nous venons de le voir, n’ont pas fait grands frais d’imagination ou d’esprit. Eux et leurs émules plus sérieux se sont mis au niveau de l’époque dont ils retraçaient les événemens, et, il faut bien le reconnaître, ce niveau avait singulièrement baissé. L’esprit humain obéit à d’occultes influences ; au moment des tempêtes sociales, il subit une étrange dépression, et tombe en quelques instans de plusieurs degrés. Lors de la crise de février, nous en avons eu la preuve. Imagination, intelligence, volonté, tout sembla défaillir à la fois. La parole remplaça tout dans la nouvelle Babel, où bientôt la confusion des langues amena la plus complète anarchie.

Aujourd’hui cette époque est bien loin de nous. Les derniers événemens ont rendu à l’art national un peu de cette brillante activité qu’il déployait avant février. Même au plus fort de nos désordres civils, l’art a toujours énergiquement lutté contre l’allanguissement des esprits et l’indifférence publique. Sans doute, en 1848, il n’avait pu complètement échapper à cette décadence morale, à ce rapetissement de l’intelligence qui gagnait de proche en proche : nous venons d’en avoir la preuve pour la numismatique. Il avait su toutefois maintenir certaines limites inviolables, et défendre les meilleures parties de son domaine contre les invasions de la barbarie triomphante. Aujourd’hui l’art ne doit plus rester stationnaire. Beaucoup de ceux qui le cultivent ont été retrempés par le malheur ; d’autres ont senti grandir leurs forces dans un stérile, repos ; tous sont fatigués de cette halte forcée, qui n’a pas duré moins de quatre années. Les aspirations sont grandes et énergiques, l’épanouissement est universel, et la numismatique elle-même obéit à cette vigoureuse impulsion. L’avènement du nouveau pouvoir, la France préservée de l’anarchie, sont les. thèmes favoris sur lesquels s’exerce à l’heure qu’il est le talent de nos graveurs les plus distingués, et nous citerons dans le nombre MM. Gayrard, Oudiné, Vauthier-Galle et Caqué. La période où nous entrons s’annonce comme éminemment favorable aux progrès de l’art ; espérons que les artistes sauront profiter du calme qui leur est rendu, en s’attachant à célébrer la France telle que nos pères l’ont vue, grande par l’intelligence, par les arts, par la paix, grande au besoin par la victoire.


F. MERCEY.