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LA FRASCATANA


SCÈNES DE LA VIE ROMAINE.

I.

Le Sicilien est né conspirateur, le Napolitain comédien, et, s’il fallait qualifier d’un seul mot le Romain, je dirais volontiers que la nature l’a fait orateur. En aucune ville du monde, le peuple ne parle sa langue avec autant de pureté qu’à Rome. L’éloquence et le bien dire sont si vulgaires en ce pays-là, qu’on ne les compte pour rien. Entre le parler d’une duchesse et celui de sa camériste, la différence n’est pas grande. Le facchino du coin de la rue s’exprime en homme de bonne compagnie ; le cicerone mérite à tous égards son titre ambitieux et vous fait les honneurs de la ville éternelle avec des fleurs de langage dignes d’un académicien ; le mendiant lui-même invoque votre charité en des termes qui vous font rêver à Bélisaire, tant le sérieux et la grandeur sont les signes distinctifs du caractère romain !

Toute chose extrême appelle son extrême opposé. Plus le Romain paraît grave à l’ordinaire, plus il s’égaie à certains jours de l’année. Les divertissemens du carnaval atteignent un degré voisin du délire, et le mardi gras, lorsque la foule se livre dans les rues à la guerre des moccoli et des confetti, vous prendriez les Romains pour une population de fous.

Pendant la dernière année du pontificat de papa Gregorio, comme on dit à Rome, le 18 octobre, jour de la Saint-Luc, dix ou douze jeunes gens étaient réunis dans une salle particulière du grand café du Corso. On voyait à leurs mines animées leur ferme résolution de s’amuser ce jour-là. Devant eux se tenaient debout, dans un silence respectueux,