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plusieurs facchini attendant les ordres de leurs seigneuries. Sur une table étaient rangées beaucoup de ces cornes que l’on considère à Naples comme un préservatif des mauvais sorts et à Rome comme un emblème ironique des accidens du mariage. Ces emblèmes étaient de diverses proportions, les uns tout petits, en agate ou en corail, les autres en écaille ou en ivoire ; les plus grands étaient de véritables cornes de bœuf vernies et façonnées comme des objets de luxe. Un des jeunes gens, remplissant les fonctions de secrétaire, avait écrit une liste de maris à qui l’on destinait ces surprises honorifiques. Le conseil délibérait sur chaque nom et choisissait parmi les présens celui qui, par son importance et sa longueur, semblait répondre à la situation conjugale du donataire, afin d’établir autant que possible une équité parfaite dans la distribution. Les avis étaient quelquefois partagés. Tel mari qui, l’année précédente, avait eu des droits à un présent considérable paraissait aujourd’hui moins favorisé. On consultait les chroniques et les anecdotes, et lorsqu’enfin on tombait d’accord, l’arrêt du conseil était suivi de ces rires francs qui rendent la gaieté méridionale si aimable et si contagieuse. Les facchini déposèrent les offrandes dans des paniers, et, pour montrer qu’on pouvait s’en rapporter à leur mémoire et à leur intelligence, ils répétèrent, sans faire aucune erreur ni confusion, les noms et les adresses des personnes auxquelles ils devaient remettre ces présens.

— Savez-vous bien vos leçons ? dit un des jeunes gens.

— Excellence, répondit le doyen des facchini, nous n’aurions guère profité de nos années de ménage, si nous ne savions pas nous acquitter d’une pareille ambassade. Fiez-vous à notre expérience. Nous commencerons par faire un petit compliment, le plus courtois que nous pourrons, à chaque époux très heureux. Nous lui dirons en exhibant le cadeau que c’est un hommage, un signe de sympathie et de confraternité envoyé par la compagnie des gais cornutelli, composée de jeunes maris, tous coiffés du même ornement et dont l’incognito finira ce soir, une heure avant le coucher du soleil, à Papa Giulio. Nous ajouterons que nul célibataire ne peut être admis et que les convives se feront reconnaître en présentant ces emblèmes de la gaie confrérie ; puis nous nous retirerons en souhaitant à tous les maris un semblable honneur pour l’année prochaine.

— Pourvu, reprit un des jeunes gens, que dans le trajet ces attributs ne prennent pas racine sur vos fronts ?

— Plût au ciel, répondit le doyen des porte-faix, que le corail voulût bien pousser sur les fronts de pauvres diables comme nous ! Nos femmes n’ont point assez d’esprit pour cela.

Les facchini mirent les corbeilles sur leurs têtes, et sortirent d’un pas solennel. On appelle Papa Giulio une guinguette à la mode, située hors des murs de Rome, entre la porte du Peuple et le pont Molle. À