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comme une fauvette et roucoulant avec son nouveau fiancé. L’anniversaire de la fête des cornes était arrivé. Pompeo, qui ne se doutait de rien, essayait un habit neuf devant une glace, lorsqu’un facchino lui offrit une petite corne en corail, accompagnée de ce compliment : — Bien que votre excellence ne soit qu’un époux promis, la société des gais cornutelli lui envoie cette offrande, et l’invite, par une exception en sa faveur, à venir dîner ce soir à Papa Giulio, afin de pouvoir dire qu’une fois en sa vie, la belle Frascatane a procuré un convive aux joyeux enfans de Saint-Luc.

Cependant Tancredi était un peu étourdi de son prompt succès. Le désoeuvrement, l’espoir de glaner du plaisir l’avaient attiré dans l’atelier du maître tourneur. Par habitude, il avait tenté la fortune, parlé d’amour et récité les tirades creuses qu’il portait dans son sac au service de qui voulait en goûter. Sa cavatine avait plu à cause de la qualité du son, et tout à coup il se voyait embarqué dans une promesse de mariage. Cette situation grave l’inquiétait. Avant de se déterminer à ne plus retourner chez la Frascatane et à faire comme s’il eût oublié cette aventure, il jugea prudent de s’enquérir du douaire que possédait Antonia. Le chiffre rond de ce douaire rendait moins périlleuse l’embûche où il était tombé. La pensée d’une bonne affaire soutenant son zèle à consoler la belle veuve, il consentit à se laisser couronner de roses. Comme Pompeo, Tancredi avait des maîtresses ; mais il ne s’en vanta pas et se cacha des envieux. Le temps du deuil s’écoula sans accident, sans querelle entre les amans. Le jour fixé pour le mariage arriva, et les fiancés furent unis au milieu d’un concert de louanges, de cris d’admiration, de chansons et de sonnets, où l’hymen, l’amour, Vénus, les Graces, le soleil, les étoiles, accessoires obligés d’un festin de noces italien, furent sans doute bien aises de se rencontrer encore.

Antonia sortit du veuvage comme d’une maladie ; l’épanouissement de son cœur se voyait sur son visage animé, dans le feu de ses yeux, dans la vivacité, l’accent mélodieux et passionné de son parler. Le bon moyen de se faire aimer, c’est d’aimer soi-même. La Frascatane n’employa point d’autre ruse. Sans apprêt ni calcul, elle enveloppa son mari de sa tendresse comme d’un filet. De son côté, le bon Tancredi n’aurait point su dire par quelle transformation involontaire, sans émulation et sans envie de mériter des éloges, il devenait malgré lui, d’un égoïste qu’il était d’abord, un homme généreux, désintéressé, un mari complaisant, fidèle, sincèrement épris de sa femme et enchanté de son esclavage. L’amour réciproque des deux époux s’accrut tant et si bien que, pour être exclusivement l’un à l’autre, ils se séquestrèrent, et les gais cornutelli répétèrent sans amertume que la Frascatane serait toujours, pour la fête de saint Luc, un mauvais pourvoyeur.

Un jour du mois de septembre, les jeunes gens de Rome organisèrent