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Antonia ? Est-il vrai que l’heureux mortel à qui vous avez donné votre cœur, ignorant le prix d’un si riche trésor, le foule aux pieds comme un impie ? Ah ! je le vois trop clairement, les nuages de la tristesse obscurcissent le soleil de votre angélique visage. La trace des pleurs est encore marquée sur l’albâtre de vos joues. Pompeo est coupable.

— Hélas ! oui, mon bon Tancredi, répondit Antonia d’une voix altérée, ce méchant garçon me met au désespoir. Le bel avenir qu’il me prépare ! Si je souffre ainsi épouse promise, que sera-ce donc lorsque je serai sa femme ? Pour mon malheur, je l’aime, tout perfide qu’il est, et je crains de mourir bientôt, s’il ne change de conduite.

— Quoi ! reprit Tancredi, vous irez jusqu’au bout malgré ces présages funestes ! Vous confierez le soin de votre bonheur au bourreau qui vous assassine ! Au lieu de vous féliciter de ne point lui appartenir encore, vous irez vous unir à cet ingrat par des chaînes dont vous discernez le fer à travers les fleurs ! Ah ! belle Antonia, c’est plus que de la faiblesse, c’est de la cruauté pour vous-même, de l’injustice pour ceux qui savent apprécier vos charmes et vous chérir dans un silence douloureux. Vous n’ignorez point que tous les feux de l’amour le plus ardent se sont allumés dans mon ame à la première étincelle que j’ai vu sortir de vos yeux. J’ai pu respecter votre partialité pour un mari digne de vous et qui vous rendait heureuse ; mais rien ne m’oblige à me taire aujourd’hui. Vous parlez de mourir, oublieuse comtesse, et vous n’avez pas songé une seule fois pendant deux ans que je mourais d’amour pour vous !

Il avait une voix de ténor, le gracieux Tancredi, un organe doux et : tendre, qui allait au cœur, et le ribombo de ses phrases ressemblait à de la musique. Antonia se sentit émue comme si elle eût écouté une cavatine. Depuis trois minutes, le tour avait interrompu son bruit discordant, et maître Nicolò, monté sur une chaise, regardait sa fille d’un air pensif : — Voilà, dit-il, une combinaison nouvelle qui change l’état des choses. Pleurer ne répare point le mal et n’avance pas les affaires. Puisque le seigneur Tancredi est amoureux et de bonnes mœurs, il faut le prendre pour mari au lieu de l’autre.

— Mais, dit Antonia en rougissant, parle-t-il sérieusement ?

— Que mes jours soient des nuits d’hiver et mes nuits des supplices infernaux, si je ne vous adore ! s’écria Tancredi.

— Jeune homme, dit le père, vous avez sauvé la république par un discours, comme Cicéron. Embrassez ma fille ; Je la connais, elle est à vous.

En effet, la Frascatane, palpitant de joie, de surprise et d’amour, se jeta dans les bras du gentil Tancredi. Un essaim de jeunes gens, qui apportait des consolations à la belle affligée, la trouva riant, babillant