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— par lesquelles la cour de Pe-king aime à faire expier aux négocians chinois les profits d’un commerce que la force des choses la contraint de tolérer à Canton et à Shang-hai, mais qui n’a point cessé d’être odieux à sa politique ombrageuse.

Quand on veut étudier ce monde étrange vers lequel la guerre de l’opium a tourné les regards de l’Europe, on oublie trop facilement combien les ressorts secrets de la société chinoise sont encore peu connus des étrangers, de ceux mêmes qui ont passé la majeure partie de leur existence sur les côtes du Céleste Empire. Les missionnaires catholiques auraient pu, mieux que d’autres, nous instruire à cet égard ; mais ce n’est plus dans le palais des empereurs que résident les nouveaux apôtres. Depuis près d’un siècle, ils se sont trouvés plus souvent à portée d’observer les mœurs des classes populaires que les habitudes des lettrés, les exactions des petits mandarins que la politique du fils du ciel. La véritable cause qui a concentré à Shang-hai et à Canton les transactions européennes a donc pu échapper aux conjectures de nos missionnaires aussi bien qu’à la pénétration des fonctionnaires anglais ; mais, à côté de ces points si difficiles à éclaircir, il en est d’autres dont l’évidence saisirait l’esprit le moins attentif. Il suffit d’avoir erré pendant quelques heures en touriste distrait dans les rues de Ning-po, d’avoir contemplé du rivage les deux fleuves rapides qui, après avoir uni leurs eaux au pied des murs à demi ruinés de cette ville, emportent à la mer des milliers de barques chargées des produits de l’industrie ou de l’agriculture chinoise, pour apprécier le rôle tout-à-fait secondaire que joue dans l’extrême Orient le commerce extérieur. L’Europe n’a point de part à cette agitation féconde dont les quais de Ning-po offrent le spectacle. Il n’est guère de ville un peu considérable qui ne soit en Chine le centre d’un commerce presque aussi actif que celui qui anime les bords du Chou-kiang ou les rives du Wampou. Sur tous les points du territoire, on rencontre un peuple affairé : des cultivateurs dans les champs, des artisans dans les villes, des portefaix le long des sentiers, des bateaux sur les lacs et sur les fleuves ; les uns sèment, labourent ou récoltent les moissons, d’autres tissent la soie, pétrissent le kaolin ou l’argile, d’autres enfin charrient ce butin dans leurs barques ou sur leurs épaules. On dirait une nation d’abeilles. D’un bout de l’année à l’autre, les hommes sont en mouvement, la terre est en travail. Une masse énorme de produits divers, produits de tous les climats, des contrées les plus brillantes comme des régions les plus glacées, est le prix de cet incessant labeur. Les provinces de l’empire se suppléent l’une à l’autre. Le nord est le débouché du midi, l’orient est le marché de l’occident. C’est la circulation du sang dans le corps humain : le commerce extérieur ne recueille pour ainsi dire que le trop plein qui s’échappe par les pores.