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si bien joints, si soigneusement ajustés, dans lesquels il semble qu’on doive attendre plus doucement qu’ailleurs l’heure fatale où résonnera la trompette de l’archange.

Échauffés par la vue de tant de merveilles, nous ne rentrâmes à la chapelle catholique que pour accorder quelques minutes au déjeuner que nous avait fait préparer Mgr Lavaissière. Munis d’un guide, pauvre chrétien chinois qui portait sur son épaule huit ou dix chapelets de sapecs, monnaie aussi lourde et d’une aussi faible valeur que celle de Sparte, nous nous lançâmes de nouveau à la poursuite des vases de porcelaine et des urnes de bronze. Aucun de nous n’avait à se reprocher vis-à-vis des rangs inférieurs de la société chinoise un excès de préventions favorables. Nous étions habitués à considérer tout ce qui portait en ce pays la livrée de la misère comme aussi vicieux et aussi abject pour le moins que les Juifs qui rampent dans la fange de Smyrne ou de Constantinople. Notre guide cependant, malgré l’humilité de son costume, nous séduisit dès la première vue. Il y avait dans sa physionomie et sa contenance je ne sais quoi de candide et d’honnête que nous n’étions guère habitués à rencontrer chez les habitués du Céleste Empire. Au bout de quelques instans, ce couli chrétien avait entièrement captivé notre confiance. Nous n’eûmes point à nous repentir de la lui avoir accordée. Le pauvre garçon prit nos intérêts avec tant de chaleur, qu’à Canton ce beau zèle n’eût point manqué de le signaler à la vindicte publique ; sur les côtes du Che-kiang, une conduite aussi étrange parut causer plus d’étonnement que de colère. Nous ne fûmes pas nous-mêmes médiocrement surpris de cette probité si prompte à s’échauffer en faveur des barbares. Ce n’était point pourtant la première fois que nous avions lieu d’apprécier la métamorphose complète qui s’opère chez les sujets du Céleste Empire dès qu’ils sont convertis à la foi catholique. Les étrangers, les Français surtout, ne sont plus pour eux des ennemis que les enfans apprennent à fuir ou à maudire ; ce sont, au contraire, des êtres supérieurs, des esprits bienfaisans, qu’on ne saurait entourer de trop de déférence et de respect. — Si la prédication de l’Évangile, me disais-je en voyant notre guide nous défendre contre l’astuce mercantile de ses compatriotes ; a la puissance d’éteindre à ce point dans le cœur des Chinois les préjugés hostiles que le gouvernement met tous ses soins à entretenir, il ne faut plus chercher ailleurs la source et le motif des persécutions qui ont assailli en Chine le catholicisme. Ce n’est point un culte qui en proscrit un autre, c’est une civilisation usée qui se défend ; c’est le Céleste Empire qui repousse de toute sa haine et de tout son orgueil l’influence politique et morale des barbares. Je suis loin de croire, quant à moi, que l’orthodoxie ombrageuse de certains missionnaires ait nui à la cause du christianisme dans l’extrême Orient. Ce n’étaient point, à mon sens, des progrès bien