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de tête, un nez épaté, un gros ventre et de longues oreilles. Ni bonze ni gardien ne se trouvait là pour défendre ces pieux simulacres. Assise au fond du sanctuaire, l’idole de bois doré n’avait pour protecteurs qu’une foule de génies subalternes, monstrueux blocs de laque rouge dont les grimaces formidables avaient paru suffisantes pour épouvanter les profanes.

Les marins doivent à leurs longs voyages une certaine tolérance philosophique qui les porte à respecter les préjugés des autres peuples ; ces citoyens de l’univers ont des égards pour les magots de tous les pays. Nous traitâmes donc ces affreux poussahs avec autant de considération que nous en eussions témoigné à la Minerve de Phidias ou au Jupiter olympien. Cependant, par je ne sais quelle offense involontaire, nous dûmes provoquer le courroux de quelques-uns de ces génies irritables. Fut-ce au dieu des nuées, Kuei-iun-xam, à la reine du ciel, Tien-haou, ou au protecteur de la ville, Ching-wang, que nous fûmes redevables des contrariétés qui, après ce fatal pèlerinage, vinrent nous assaillir ? Je l’ignore et ne chercherai point à le savoir ; mais le fait est certain : c’est au moment même où, franchissant la porte du temple, nous allions descendre par un gigantesque escalier de granit vers la plage, que le vent de sud changea brusquement, et dans un tourbillon soudain vint à souffler du nord-est. Quand nos passagers arrivèrent à bord de la corvette, il n’y avait plus moyen de songer à sortir du fleuve. Pendant huit jours, nous fîmes des efforts désespérés pour tenter un appareillage ; la brise nous retint impitoyablement au port. Nous étions littéralement pris dans une souricière. La configuration du chenal que suit à son embouchure le cours de la Ta-hea ne nous laissait le choix qu’entre deux partis : nous faire remorquer par nos embarcations, s’il survenait un instant de calme, ou attendre un vent favorable. Ce dernier parti eût été le plus sage ; il nous eût épargné bien des fatigues inutiles. Ce n’était point malheureusement celui que nous conseillait notre impatience. Chaque matin, à la moindre variation de la brise, nous concevions un fol espoir, et nous nous remettions en route traînant notre chaîne comme un forçat échappé. Nous lancions devant nous un canot comme ballon d’essai, et, quand l’insuccès de ses manœuvres nous avait convaincus de l’inutile danger d’une tentative qui ne nous sauverait pas d’une odieuse prison, nous retournions, mornes et résignés, au poste que nous avions quitté le matin. Ce fut un des épisodes les plus irritans de notre campagne. Le cabestan de la Bayonnaise ne connaissait plus de relâche ; ce n’était que manœuvres de jour et de nuit, qu’imprécations contre la mousson. Enfin la colère des dieux eut un terme. Le 5 mars, au moment où le soleil se leva, la mer était calme et unie comme une glace ; aucun souffle n’agitait l’air. Nous saisîmes cette occasion aux cheveux. Dès