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suivait d’un pas trop inégal notre curiosité impatiente. Nos questions le mettaient au martyre ; elles l’appelaient sans cesse sur un terrain où il n’avait jamais, songé à descendre, le terrain des pourquoi et des parce que. Le Chinois n’est pas investigateur de sa nature, le père Fan ne l’était pas devenu en acceptant les vérités du christianisme. Je suis convaincu que les mystères de notre religion ne l’avaient pas arrêté une minute. Sa foi était simple et docile, sans manquer de ferveur. La Providence avait donné pour auxiliaire au plus infatigable des prélats du Céleste Empire ce placide Chinois, dont le corps long et maigre allait comme par instinct se ployer au fond d’une chaise à porteurs, tandis que le bouillant évêque courait plutôt qu’il ne marchait en avant de son acolyte. Mgr Lavaissière ne s’apercevait guère que les rôles étaient de cette façon souvent intervertis. Il aimait dans le père Fan le compagnon fidèle de ses travaux ; il se plaisait à voir dans la simplicité et dans l’immuable douceur de ce flegmatique personnage le gage des vertus modestes que l’église pouvait attendre du clergé indigène. Mgr Lavaissière d’ailleurs aimait les Chinois ; un mot brusque adressé à l’un de ses néophytes le faisait souffrir : c’était bien là le pasteur qui eût donné sa vie pour sauver son troupeau. Les Chinois, de leur côté, avaient compris ce dévouement, et leur enthousiasme pour le saint évêque ne connaissait point de bornes. Si une mort prématurée n’eût enlevé Mgr Lavaissière an siége du Che-kiang, je crois que l’île de Chou-san tout entière fût devenue catholique. Jamais homme ne fut plus digne de marcher sur les traces des apôtres. Mgr Lavaissière avait les vertus, le courage, l’ardente sympathie de ces premiers prédicateurs de l’Évangile ; il était vraiment fait pour prêcher aux pauvres un Dieu crucifié.

Au milieu de l’allégresse que leur inspiraient la présence de leur évêque et celle du navire français, les chrétiens de Chou-san nous avaient semblé les gens les plus heureux et les plus satisfaits du monde ; les païens seuls se plaignaient de la sécheresse : après les averses qui nous avaient assaillis à Ning-po, c’était se montrer exigeant. Il fut cependant décidé que le dragon paraîtrait dans les rues et qu’on le prierait solennellement d’envoyer de la pluie aux campagnes. Au jour fixé,