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la tentative n’eût qu’un médiocre succès, et qu’il arriva ce qu’il ne manque jamais d’arriver dans toutes ces entreprises où l’inspiration de l’activité humaine se subordonne de gaieté de cœur à une théorie improvisée pour les besoins du moment. À défaut du type individuel, qu’on n’avait pas dans famé, essendo carestia, comme disaient les Italiens du XVIe siècle, il fallut bien recourir à la tradition classique, et les Odins ressemblaient à s’y méprendre au vieux Jupiter ; il est vrai qu’on se sauva par les attributs, et que les deux corbeaux et le renard Fenris se rencontrèrent fort à propos pour témoigner de l’identité du dieu scandinave, qui sans eux aurait pu se trouver fort compromise. Comment s’imaginer qu’après des siècles l’art s’en ira sortir tout armé des flancs d’une mythologie qui n’a rien su produire d’original, alors qu’elle était en possession du culte et de l’esprit des peuples ? La statuaire grecque a-t-elle attendu pour se manifester que les dieux et les déesses de l’0lympe eussent disparu de ce monde ? N’est-ce pas, au contraire, au moment où elle vivait du souffle et de la vie universelle que cette mythologie a révélé sa forme ? n’est-ce pas sous une apparence en quelque sorte objective, sous l’apparence de la vérité, que le ciseau de Phidias la surprit pour lui imprimer au front le caractère d’une immortalité nouvelle, l’immortalité du marbre de Paros ? Aussi, quelque louables qu’aient pu être les efforts des statuaires scandinaves, ils devaient naturellement échouer par cette raison toute simple, que, la mythologie du Nord n’ayant point créé de forme qui lui fût propre au temps où elle existait à l’état religieux, on ne saurait attendre d’elle désormais qu’une de ces inspirations indéfinies et vagues dont le dilettantisme des époques critiques se contente.

Il est un art qui, bien autrement que la statuaire, semble appelé à favoriser le progrès de ce mouvement des nationalités du Nord : nous voulons parler de la musique. Étudier la vie d’un peuple jusque dans l’histoire de sa musique, pourquoi pas ? L’histoire du cœur humain vaut bien aussi la peine qu’on la compulse, et telle mélodie sans nom d’auteur qui vous captive et vous émeut à six cents lieues de la patrie, au milieu des glaciers de la Norvège, n’est-elle point, en somme, une page arrachée à ce livre ? La musique a pris, de nos jours, un développement si vaste, tant d’élémens variés et tumultueux sont venus compliquer ses formules, qu’il paraît, au premier abord, presque impossible d’établir un rapprochement quelconque entre le motif populaire, — expression ingénue et simple d’un sentiment qui ne demande qu’à s’exhaler, — et la phrase magistrale splendidement revêtue ou surchargée de tous les ornemens d’une instrumentation pompeuse. Et cependant, que l’art en ait ou non conscience, cette affinité existe, et, lorsqu’on se veut rendre compte du génie d’une époque ou d’un maître, lorsqu’on veut savoir quelle originalité propre caractérise la musique française ou italienne, l’allemande ou la suédoise, c’est à la source vive