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pour peu qu’on veuille y réfléchir, un pareil poste, en Allemagne,., est significatif, et la succession du chantre de Paulus et du Songe d’une Nuit d’été semble pour le jeune maître d’autant plus flatteuse et honorable, que ce fut Mendelssohn lui-même qui le désigna pour son héritage. Né à Copenhague, il était dans l’ordre des choses que M. Gade cherchât au début à se créer, au cœur même de l’Allemagne musicale, un point de départ d’où il se ferait ensuite victorieusement reconnaître par son pays, lequel, selon l’antique et solennel usage de tous les pays de ce monde, avait besoin, pour croire à la valeur d’un de ses enfans, que des étrangers l’en eussent informé. Découragé du peu de sympathie qui se montrait autour de lui, ennuyé d’attendre vainement cette heure glorieuse du succès qui menaçait de ne jamais devoir sonner à l’horloge de sa paroisse, de Copenhague, où il végétait assez pauvrement, M. Gade prit le parti d’écrire droit à Mendelssohn, et ne laissa pas de joindre à l’épître sa meilleure symphonie. Mendelssohn lut la lettre, et surtout la symphonie, dont il fut charmé. « Vous commencez par où j’ai fini, » répondit-il à M. Gade ; et pour le mieux convaincre de la sincérité du compliment, il fit exécuter sa symphonie aux applaudissemens prolongés de tout ce que Leipzig avait de connaisseurs. Le succès fut immense ; on l’entendit de Copenhague, et de ce jour les Danois proclamèrent leur compatriote un grand maître. Bientôt l’Allemagne vint le disputer à sa patrie. Quand mourut Mendelssohn, la ville de Leipzig voulut avoir M. Gade à la tête de ses concerts, et c’est dans ce poste qu’il s’établit jusqu’au moment où la guerre du Sleswig le rappela en Danemark.

Le style de M. Gade respire en général cette grandeur sauvage un peu abrupte qui est comme le caractère particulier des races du Nord. La tristesse et la mélancolie n’ont rien ici de ce faux air de sentimentalisme que l’éloignement des sources primitives inspire trop souvent aux créations de l’art. Rudesse, si l’on veut, j’y consens ; mais cette rudesse porte en soi je ne sais quelle énergie féconde et saine qui, lorsqu’on songe aux graces fardées de ces mille compositions dont tant bien que mal notre dilettantisme se paie, vous rappelle l’impression vivace que produit sur des sens émoussés par l’abus des parfums l’odorante saveur d’une forêt de pins de la Norvége. On connaît cette mâle figure sous les traits de laquelle Albert Dürer a représenté la mélancolie, superbe évocation du génie du Nord, si loin de ressembler dans ses formes robustes, dans sa musculature vigoureuse, à ce type grêle et maladif que la tradition erronée des peintres de salon se complaît chez nous à reproduire. L’énergie dans la tristesse, la mélancolie dans la force, une rêverie austère et toujours grave, telle se montre la figure du grand artiste de Nuremberg, telle m’apparaît la musique des peuples du Nord, et ce qui constitue à mes yeux le principal