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fils ce fameux air connu sous le titre de Carnaval de Venise. À Vienne florissait au XVIIIe siècle une sorte d’opéra-comique populaire ; cela s’appelait Wiener-Possen mit Gesang. C’était d’ordinaire pour le sujet quelque histoire légendaire ou chevaleresque burlesquement traitée la Fille du Danube, le Moulin du diable, et, pour la musique, des airs et des chansons empruntés çà et là aux échos de la rue ou de la montagne, et que deux compositeurs alors en renom, Wenzel Müller et Ferdinand Kauer, possédaient le secret de coudre ensemble et de mettre agréablement en lumière. Peut-être qu’en cherchant bien, on trouverait que ce genre d’atellanes musicales n’a pas été sans influence sur Mozart et son école. Ainsi le rôle de Papageno dans la Flûte enchantée s’y rattache tout entier. C’est une étude curieuse que de voir Mozart retourner toujours à cette source féconde où son inspiration a puisé ses plus délicieuses idées. S’il s’en éloigne avec Idoménée, avec la Clémence de Titus, il y revient avec Leporello, avec la Suzanne et le Chérubin des Noces de Figaro, avec ce Papageno fantasque, dont l’habit d’Arlequin ne se compose en somme que de bigarrures populaires merveilleusement ajustées. Par cette tendance propre au génie à développer jusqu’à l’excès la loi première de sa nature, tandis que l’auteur de la Flûte enchantée s’attache à creuser chaque jour davantage cette mine de la tradition dont il taille, en ingénieux lapidaire, les éblouissantes pierreries, — de plus en plus solitaire et misanthrope, de plus en plus voué au culte de son rêve intérieur, Beethoven se perd dans l’idéal et l’abstrait, et ses dernières compositions s’enveloppent comme à plaisir d’une atmosphère nébuleuse que l’œil de l’initié lui-même n’est pas toujours très sûr de pouvoir percer.

C’est un naturaliste aussi que M. Gade, le chef contemporain de l’école danoise ; naturaliste en ce sens qu’il apporte au plus haut degré dans ses compositions le caractère et la couleur du sol où il est né, et que vous entendez, à travers chacune de ses œuvres, passer comme une bouffée de ce souffle mélodique qui est en musique l’indispensable élément de la vie d’un peuple, et vibrer l’écho passionné de tant, de motifs anonymes livrés au vent du nord par les générations. Si l’on me demandait : — Y a-t-il en sculpture un art scandinave ? Même après avoir admiré les plus beaux marbres de Thorwaldsen, je n’hésiterais pas à répondre : Non. Autre chose pourtant est de la musique, et quand je rapproche de certaine symphonie de M. Gade, de sa Comala par exemple, diverses révélations de la muse vulgaire qui nous sont venues tant par Jenny Lind que par mainte autre individualité sur laquelle j’aurai à m’expliquer tout à l’heure, il m’est impossible de ne point reconnaître là une nationalité très prononcée. Né vers 1819 à Copenhague, M. Niels W. Gade occupe, depuis la mort de Mendelssohn, à Leipzig, la place de directeur de la Société des Concerts. Or,