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libre et ne songeant point encore à la domination, s’unissait à la voix en de mélodieux hyménées. La Création et les Saisons virent le jour vers cette période ; cela s’intitulait oratorios : pour quelle raison ? on ne nous l’a jamais dit. La Création ! — passe encore ; mais les Saisons ? Qu’avait en soi de religieux un pareil sujet, si ce n’est un sentiment de la nature qui déborde, un vague panthéisme, ne se rattachant par aucun lien au texte de la révélation ? On l’aura remarqué, dans tout ceci le genre épique n’apparaît pas : avec Gluck, la tragédie lyrique dans sa plus sublime acception ; avec Haydn, la cantate, la symphonie, l’idylle. Quant à Mozart et à Beethoven, ne peut-on pas dire d’eux que toutes les formes de l’art, ils les ont épuisées, hormis une, celle dont nous parlons ? On ne saurait nier que les traditions héroïques d’une nationalité, ainsi interrogées au point de vue musical, n’offrent un champ glorieux à l’exploitation du génie. Reste à savoir si le génie se montrera. Toujours est-il qu’on peut dès aujourd’hui constater d’intéressantes et curieuses tentatives. J’ai nommé tout-à-l’heure MM. Schumann et Wagner ; leurs compositions, empruntées aux légendes allemandes, relèvent évidemment de ce genre d’inspiration dont procède, au premier chef, la Comala de M. Gade.

On se souvient du poème d’Ossian. — C’est l’œuvre même de l’Homère calédonien que le musicien de Copenhague a mise en musique sujet national s’il en fut, car, au dire des commentateurs, cette ode symphonique, notée par les bardes selon les rhythmes et la tablature du temps, se chantait devant les chefs dans les grandes et solennelles occasions. Comala, fille d’un roi de la verte Érin, éprise d’une vive passion pour Fingal, abandonne le toit paternel pour s’attacher aux pas du héros scandinave, qu’elle accompagne sous des habits d’homme. Le roi Fingal, ému, de son côté, par le dévouement de la jeune princesse, dont l’irrésistible beauté l’avait d’abord séduit, se prépare à l’épouser, lorsque la guerre éclate avec les Romains sous l’empereur Caracalla. Fingal se met en marche pour joindre l’ennemi ; voyant Comala s’obstiner à le vouloir suivre au milieu des périls, il lui ordonne de s’arrêter à une certaine distance du champ de bataille, et promet, s’il échappe à la mort, de venir la retrouver dans la nuit même. L’attente de Comala, les angoisses par lesquelles elle passe pendant que Fingal dispute à l’ennemi sa puissance et ses jours, tel est l’ordre de sentimens dont la peinture sert d’introduction à l’œuvre musicale. Morne et silencieuse, la royale jeune fille attend, et ses deux grands chiens gris couchés à ses pieds dans la rosée, son noble visage appuyé sur son bras, ses cheveux dénoués au vent de la montagne, elle tourne son œil bleu vers le champ du combat.

Cependant tout à coup arrive du camp de Fingal Hidallan, fils de Lemor, jeune chef que le roi envoyait annoncer à Comala sa victoire