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et son retour. Comme Jago, Hidallan a aimé, et son amour dédaigné s’est changé en un sentiment de jalousie féroce. Messager de joie et de bonheur, il trahit perfidement son rôle, et raconte à la bien-aimée de Fingal la fausse nouvelle de la défaite et de la mort du héros. Au récit d’Hidallan, Comala éclate en sanglots, et Corneille lui-même ne dépasse pas dans les imprécations de Camille le sublime mouvement de cette fille des montagnes lançant contre Rome son cri de désespoir ; puis, se tournant vers l’envoyé félon dont elle ignore l’imposture « Pourquoi me dire, Hidallan, que mon héros a succombé ! Hélas ! sans toi, j’aurais pu espérer encore son retour ! j’aurais pu croire que je l’apercevais sur ce rocher lointain ; une tige d’arbre m’eût trompée aux clartés de la lune, et le vent de la montagne eût résonné à mes oreilles comme le son d’un cor ! Oh ! que ne suis-je sur les bords du Carun pour que mes larmes baignent son visage et le réchauffent ! »

M. Gade a traité en maître toute cette situation. — Bientôt cependant une fanfare militaire interrompt les lamentations de Comala c’est Fingal qui revient entouré de ses bardes et de ses guerriers. On salue, on acclame le triomphateur ; tous se pressent sur ses pas, tous en lui reconnaissent Fingal, tous excepté la pâle jeune fille, dont la douleur a brisé l’ame, et qui désormais, en proie à sa mélancolique illusion, dans ce royal jeune homme qu’elle a devant les yeux, se refuse à voir autre chose que l’ombre de son bien-aimé. « Oui, mène-moi vers ta demeure et me fais partager ton repos, fils chéri de la Mort ! » Vainement Fingal s’épuise à la désabuser ; l’idée fatale la possède, et lorsqu’elle reconnaît la vérité, il est trop tard ; la Mort qu’elle a invoquée a répondu à son appel. « C’est bien lui en effet, c’est Fingal ! Il revient dans sa gloire ; sa main victorieuse presse ma main ! Ah ! laissez-moi m’asseoir sur ce rocher jusqu’à ce que le calme rentre dans mon ame ébranlée ! Ma harpe ! donnez-moi ma harpe ! Entonnez vos chants, filles de Morna ! » A tant d’émotions, cette ame délicate et tendre ne saurait survivre ; l’ivresse du bonheur achève de briser cette douce nature que son désespoir a meurtrie, et le chœur des blondes filles d’Ardven annonce à Fingal la mort de Comala.

Je ne puis me rappeler cette situation de Comala recevant la fausse nouvelle de la mort de Fingal sans songer à la Desdemona de Rossini au second acte d’Otello, et cette analogie dans le drame provoquerait au besoin d’assez curieux rapprochemens entre le génie des peuples du Nord et celui des pays méridionaux. Chez la fille du Nord, le désespoir revêt aussitôt un caractère irrévocable. On dit à Comala que Fingal est mort, et, sans plus s’informer, sans pouvoir même douter un seul instant du fatal message, cette ame concentrée et grave succombe ingénûment à la première blessure qu’on lui porte. La belle Vénitienne, au contraire, passe d’un extrême à l’autre et n’en meurt