Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/597

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

selon nous, de manquer de variété et de prêter le même langage à des caractères différens. Le quatrième acte, qui est le plus important de tous, commence par une cavatine de ténor qui n’a rien de bien saillant, à laquelle succède un très beau duo de ténor et soprano entre Léon et Irène, qui est, sans contredit, le morceau capital de l’ouvrage. Le début de ce duo très passionné, qui rappelle je ne sais trop quelle phrase de l’Éclair, est plein de tendresse, et l’ensemble des deux voix forme un andante délicieux. Toutefois on peut reprocher à ce duo chaleureux le défaut qu’on remarque dans presque tous les morceaux d’ensemble de M. Halévy. Il y a là des longueurs, et, entre les parties vives et charnues, d’interminables récits qui, sans ajouter rien à la clarté de la situation, en affaiblissent l’effet. En interrogeant Irène sur les sentimens qu’elle éprouvait lorsque, vivant auprès de lui, elle se croyait sa sœur, Léon la presse de questions au moins indiscrètes, et ce dialogue rapide a été rendu avec bonheur par le musicien. Si ce dialogue était plus rapproché du bel andante qui le précède, et si la strette qui le termine n’était point séparée de l’ensemble par des filamens de récitatif dépourvus d’intérêt, le duo que nous venons d’analyser serait presque un chef-d’œuvre. L’air du Juif errant se plaignant de sa triste destinée :

Autour de moi tout passe !

Moi seul connais la trace
Des temps qui ne sont plus !


manque de caractère, et il y a lieu vraiment de s’étonner que le principal personnage de ce drame interminable n’ait pas inspiré à M. Halévy des chants plus heureux et plus saisissans. Au cinquième acte, qui, appartient plus au décorateur qu’au musicien, nous n’avons à signaler que l’ensemble à quatre voix qui forme la péroraison de la romance de Léon et le récitatif de l’ange exterminateur :

Le voilà ce jour redoutable
Où le pécheur ne pèche plus !

En résumant les observations qu’on vient de lire, on ne saurait contester que le nouvel ouvrage de M. Halévy ne renferme des choses remarquables : — au premier acte, le chœur du couvre-feu, avec le récitatif qui le prépare, et puis le chœur des malandrins ; au second acte, le duo entre Léon et Théodora et le quatuor des marchands d’esclaves ; la musique délicieuse qui accompagne la pastorale du troisième acte ; le grand duo d’Irène et de Léon, et le récitatif de l’ange exterminateur. Malgré les belles pages que nous venons de signaler et d’autres encore moins importantes, le savant compositeur n’a pu corriger entièrement les imperfections du poème qu’il avait accepté. Dépouillé de son auréole mystique et religieuse, le personnage du Juif errant ne joue qu’un rôle secondaire dans la partition de M. Halévy, et aucun des morceaux qui lui sont confiés ne frappe l’imagination du public. La ballade que chante Théodora au premier acte, et qui renferme tout l’esprit de la légende, n’est pas réussie, et cela doit être pour le musicien un regret amer, car M. Halévy a précisément dans l’imagination tout ce qu’il faut pour créer une mélodie à la fois touchante et populaire. Ses morceaux d’ensemble, nous l’avons déjà remarqué, ne sont pas dessinés avec assez de vigueur. Les parties saillantes et vives qui