Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/598

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les composent sont éloignées les unes des autres par d’interminables récits qui fatiguent l’attention et provoquent l’ennui. Tel n’est pas le défaut du joli quatuor des marchands d’esclaves, écrit à la manière des Italiens, avec une voix prédominante en forme de pédale qui attire dans son giron le concert harmonique. Aussi ce charmant quatuor produit-il l’effet désiré. L’instrumentation de M. Halévy, tout à la fois vigoureuse et délicate, nous a toujours paru manquer un peu de sonorité et de lumière, car il est bon de remarquer qu’on peut être bruyant sans clarté, ingénieux dans les détails et manquer pourtant de nuances.

Bien n’est plus difficile dans les arts que d’avoir un style noble, soutenu et tempéré, qui s’élève et qui s’abaisse quand il le faut, sans jamais perdre le ton qui caractérise la forme durable de la pensée. M. Halévy a une préférence marquée pour les tonalités mineures et les rhythmes d’ordre composite, ce qui le pousse involontairement à chercher ses effets dans la partie inférieure de l’échelle musicale, dont il aime à dégager un long murmure qui, par une progression connue, vient éclater sur la cime des flots, à l’extrémité opposée de l’échelle sonore. Ce procédé, comme tous les procédés du monde, épuise bien vite l’étonnement qu’il produit d’abord, et ne saurait tenir lieu de ce discours soutenu, varié, toujours élégant, fluide et harmonieux qu’on admire dans l’orchestre de Mozart et de Rossini. M. Halévy a prouvé, dans quelques morceaux de la Juive, que cette forme idéale de l’instrumentation ne lui était point inaccessible. Et, si le savant compositeur fût resté fidèle à cette première manière qui était la bonne, il n’aurait point introduit, au troisième acte du Juif errant, ces horribles instrumens de cuivre qu’on appelle des saxo-phones, sortis de l’officine d’un luthier célèbre, qui peut justement se vanter d’avoir infesté toutes les musiques de l’armée française des produits de son industrie. Ce n’était point à un compositeur du mérite et de la considération de M. Halévy de prêter la main à un pareil scandale de grossière sonorité ; il fallait laisser les saxo-phones à MM. Berlioz, Listz et fuguer, ces musiciens de l’avenir !

L’exécution du Juif errant ne manque pas d’ensemble. Mme Tedesco, chargée du rôle de Théodora, possède une magnifique voix de mezzo-soprano dont les cordes inférieures ont le timbre et la résonnance qui caractérisent les contraltos. Cette voix ample, douce et suffisamment flexible, rayonne sans effort jusqu’au la supérieur, dont la virtuose, au besoin, peut franchir la limite. Cette cantatrice, qui est d’origine italienne, car elle est née à Mantoue d’une famille allemande, a fait ses débuts sur le théâtre de l’Opéra, il y a un an, par le rôle de Fidès du Prophète de Meyerbeer. Gênée d’abord par les difficultés d’une langue qui n’était pas sa langue maternelle, Mme Tedesco parut un peu froide au public parisien, qui rendit hommage cependant aux avantages de sa personne ainsi qu’à la beauté de son organe. Depuis ses débuts, Mme Tedesco a beaucoup travaillé, et, plus sûre de sa prononciation, elle est parvenue à exprimer avec éclat certaines nuances de la passion. Dans le rôle de Théodora, qui a été écrit pour elle et de manière à favoriser l’émission des notes importantes de son riche clavier, elle ne mériterait que des éloges, si le désir de produire de l’effet n’inspirait à la cantatrice des ornemens d’un goût fort équivoque. Dans la ballade du premier acte, dans son duo avec Léon et dans plusieurs autres morceaux importans, Mme Tedesco déploie un style baldanaoso et d’une exagération ridicule. Elle affecte d’opposer constamment les couleurs