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certain dandinement du corps dont il est prudent de se corriger, telles sont les petites imperfections que nous serions tenté de reprocher à Mlle Lagrua, si elle avait d’autres prétentions que celles d’une jeune débutante dont le talent a besoin de se perfectionner par des études constantes et sévères.

La mise en scène du Juif errant est magnifique, trop magnifique, car ce n’est pas sans danger qu’un théâtre, même celui de l’Opéra, accorde une part excessive à la curiosité des yeux. Si, au lieu de nous donner par an un seul ouvrage en cinq actes qui épuise la patience du plus intrépide amateur de musique, vous mettiez en scène plusieurs opéras en trois actes, mesure de ce que peut supporter la masse du public français, quoi qu’on en dise, vous ne seriez pas obligé de dépenser plus de 100,000 francs, assure-t-on, pour un mauvais libretto qui a été évidemment fabriqué pour la plus grande gloire des décorateurs. Une fois sur cette pente, vous êtes condamné à faire toujours de nouveaux efforts, sans pouvoir vous flatter d’obtenir un succès durable, car il n’y a rien dont on se lasse plus vite que les plaisirs des sens. Il n’y a d’infinis que les plaisirs de l’esprit et du cœur. Au milieu de tout ce fracas stérile de décors qui vous éblouit et vous donne le vertige, on se dit comme l’oiseau de la fable :

Le moindre grain de mil ferait mieux mon affaire.

Et puisque vous avez transformé le théâtre de l’Opéra en une sorte de panorama, donnez-nous au moins des tableaux possibles, qui ne touchent point au ridicule, comme la scène de la vallée de Josaphat et la représentation de l’enfer, dont les épisodes grotesques font rire aux éclats jusqu’à vos comparses :

De la foi d’un chrétien les mystères terribles
D’ornemens égayés ne sont pas susceptibles.


Et si ce précepte du bon sens vous parait vieilli de nos jours et ne point s’appliquer au théâtre de l’Opéra, vous êtes bien obligé de vous arrêter devant l’impossibilité de jamais satisfaire l’imagination du spectateur, qui, dans ces sujets d’un ordre supérieur, ira toujours au-delà de vos plus grands miracles. Quelques lignes de l’Apocalypse forment un tableau bien autrement terrible du jugement dernier que le chef-d’œuvre même de Michel-Ange. Quel que soit le sort réservé à l’opéra du Juif errant, M. Halévy n’en reste pas moins l’un des plus dignes représentans de l’école française. Si l’auteur de la Juive, de la Reine de Chypre, de Charles VI, de l’Éclair, des Mousquetaires, et de tant d’autres partitions remplies de vigueur, de mélodies touchantes et de détails ingénieux, n’est pas un de ces hommes qui fondent des dynasties, il est du petit nombre de ceux qui savent conserver dignement l’autorité transmise, et dont les œuvres maintiennent la tradition des bons principes.


P. SCUDO.


PROCES DE M. LIBRI.

Nous avons reçu la lettre suivante en réponse à celle de M. P. Mérimée publiée dans notre n° du 15 avril.

MONSIEUR,

Depuis le mois d’avril 1848, où la justice nous appela à prendre part, en qualité d’experts, au procès criminel intenté à M. Libri, nous nous sommes