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Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/611

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Vous ne parlez, à ce qu’il nous semble, monsieur, que d’un seul des manuscrits volés par M. Libri, suivant l’acte d’accusation. « J’ai sans cesse, dites-vous (page 323), à vous signaler le même genre de distractions qui consiste à donner, comme preuve de l’accusation, un argument qui la réfute. C’est ainsi qu’à propos d’un manuscrit du Cortegiano qui a disparu de la bibliothèque de Carpentras, on rapproche ingénument une note de M. Libri qui le décrit comme une copie du temps, d’une autre note de M. Libri désignant un manuscrit cédé par lui à lord Ashburnham comme le manuscrit autographe de l’auteur, avec une reliure de Grolier. »

Vous n’avez pas bien lu l’acte d’accusation. Il nous suffira de le citer : « Un manuscrit coté 363 était ainsi désigné sur l’inventaire de la bibliothèque : « Il Cortegiano di Castiglione, in-fo, » sans autre indication. Ce manuscrit existait encore sur les rayons en 1841. Libri, dans un catalogue qu’il envoyait à cette époque au ministre, le mentionnait en ces termes : « Il Cartegiano de B. Castiglione « (con note del tempo e CORREZIONI), in-folio, papier, seizième siècle. » En 1842, il avait disparu. Or, dans le catalogue des manuscrits vendus à lord Ashburnham, on lit, sous le no 1606 : « Castiglione. Il Cortegiano, in-folio sur papier, seizième siècle. C’est le manuscrit autographe de l’auteur avec une foule de corrections. »

Nous croyons, monsieur, avoir assez catégoriquement répondu pour convaincre les lecteurs de la Revue que ce n’est point à nous que doivent s’adresser les reproches d’étourderie et de légèreté dont vous êtes si prodigue dans votre lettre. Si vous le désirez, nous reprendrons la discussion sur tous les points. Mais ne vous bornez plus à citer les brochures, à copier des notes de MN. Libri, P. Lacroix, Jubinal, Lepelle et autres. Si vous retournez à la Mazarine, où nous jadis nous avons travaillé des mois entiers, passez-y cette fois plus de vingt minutes. Étudiez vous-même les questions avant de nous parler encore des papiers d’Arbogast et de Buache ; occupez-vous aussi de tant de points dont il est question dans l’acte d’accusation et sur lesquels vous avez cru devoir garder le silence. Dites-nous quelques mots du Théocrite et du Dante volés à Carpentras, des correspondances originales de de l’Isle et d’Hévélius à la bibliothèque de l’Observatoire ; n’oubliez pas les manuscrits de Léonard de Vinci et de Godefroy à l’Institut, les collections Du Puy, Peiresc, Boulliau, Baluze, etc., à la Bibliothèque nationale. Quand on vous fournira des pièces justificatives que l’on prétendra écrites de la main de personnages qui ne sont plus de ce monde, examinez ces documens avec la plus minutieuse attention ; vérifiez scrupuleusement la date, le contenu, l’écriture ; soyez, en un mot, d’une méfiance excessive, et à l’heure où vous voudrez reprendre cette polémique, vous nous trouverez toujours prêts.

Votre lettre, monsieur, a eu, comme vous l’espériez, un grand retentissement. Pendant quinze jours elle aura laissé peser sur nous de bien graves accusations. Nous aurions eu le droit de nous en plaindre avec amertume ; mais il nous a suffi d’avoir raison.


Paris, 25 avril 1852.

LUD. LALANNE, H, BORDER, F. BOURQUELOT.