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l’esprit, si fort occupée d’embellir et d’enrichir le couvent des Carmélites, où on le menait quelquefois, se piqua d’honneur, et voulut aussi faire son cadeau. Relevant d’une assez grande maladie, pour le divertir dans sa convalescence, on avait fait venir dans sa chambre et on lui montrait les curiosités du jour, parmi lesquelles se trouvait un reliquaire qui était quelque chose d’admirable pour l’art et pour la richesse. Le duc d’Enghien demanda à qui était ce chef-d’œuvre. L’orfèvre répondit que c’était aux Carmélites de la rue Saint-Jacques, mais que, n’étant pas en état d’en payer la façon, elles l’avaient laissé entre ses mains. Le jeune duc s’écria qu’il voulait que les Carmélites eussent ce beau reliquaire, et il trouva pour y réussir un très bon moyen. Il prit une bourse en main, et, vantant la curiosité qu’il tenait cachée, il refusait de la montrer à ceux qui venaient le visiter, à moins qu’on ne mît dans sa bourse quelques pièces d’or ou d’argent, et il parvint de la sorte à se procurer la somme demandée, qui était de 2,000 louis.

Ainsi s’écoula l’enfance et l’adolescence de Mlle de Bourbon, au milieu des spectacles et dans les pratiques d’une piété vraie et profonde. Il ne faut donc pas s’étonner que la contagion de cette piété l’ait saisie au point qu’elle prit la résolution de renoncer aussi au monde et de se faire carmélite. Celle qui devait être un jour l’ardente disciple et l’intrépide protectrice de Port-Royal était alors entre les mains d’un jésuite, le père Le Jeune. Il la fortifia dans son dessein ; mais en vain elle adressa les supplications les plus vives à son père, le prince de Condé. Celui-ci, qui avait bien d’autres vues sur sa fille, se plaignit à Mme la Princesse, et pour rompre le charme qui attachait Anne-Geneviève aux Carmélites, il fut décidé qu’on la mènerait un peu plus souvent dans le monde. Mlle de Bourbon obéit ; mais, l’esprit encore tout rempli des images et des discours du couvent de la rue Saint-Jacques, elle ne se plaisait point dans ces brillantes compagnies, et elle y plaisait assez peu. Quand sa mère la grondait de son peu de succès, Mlle de Bourbon lui répondait, dit-on[1] : « Vous avez, madame, des graces si touchantes que, comme je ne vais qu’avec vous, et ne parois qu’après vous, on ne m’en trouve point. » Cette façon de se justifier apaisait Mme la Princesse, qui, malgré sa dévotion, souffrait volontiers qu’on lui fît souvenir qu’elle avait été et qu’elle était encore très belle.

Mlle de Bourbon poursuivit pendant plusieurs années l’accomplissement de ses désirs, et, pour l’y faire renoncer, il fallut lui faire une sorte de violence. Jusque-là elle avait trouvé le moyen d’échapper au bal. Mme la Princesse fut obligée d’employer son autorité pour l’y faire aller. On lui signifia trois jours à l’avance qu’elle s’y devait préparer.

  1. Villefore, p. 13.