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couronnes, tandis que le buste de Pie IX est mis en pièces. Le gouvernement se sert de cette force qui le domine lui-même, et le général Lopez sait bien que la pointe du poignard des clubs touche sa poitrine en cas de défaillance. Ce qui s’exhale de ces foyers, ne le sait-on pas ? Ne voyez-vous pas d’ici défiler dans leur grotesque appareil les déclamations sur le prolétariat, sur l’immoralité des armées permanentes, sur le célibat ecclésiastique, sur l’émancipation des femmes ? Ce sont les sujets sur lesquels s’épanche l’éloquence rouge. Une des plus mémorables séances des clubs grenadins, c’est celle où un des naturels du lieu, M. Jose-Maria Samper Agudelo, a fait un discours sur le mariage civil. Le mariage civil, on le comprend, c’est le mariage libre sur l’autel de la nature. « La liberté de la presse a affranchi la pensée, dit l’orateur ; la liberté industrielle multiplie la richesse ; pourquoi ne créez-vous pas la liberté conjugale, la liberté de l’amour noble et généreux ? .. » Suivent les plus pathétiques descriptions de toutes les horreurs qu’engendre la perpétuité du mariage et des enchantemens des amours phalanstériens se nouant et se dénouant par la main des graces, et se déroulant avec cette variété « qui fait l’harmonie de la vie. » Ne vous semble-t-il pas entendre tel philosophe de votre connaissance répétant son hymne : « C’est l’amour, l’amour, etc. » Le jeune et facétieux démagogue de Bogota n’a pas l’air de se douter qu’en ce qui touche ce mariage civil qu’il propose de créer, c’est-à-dire tel « que les époux puissent le rompre quand ils veulent, » il suffirait de se débarrasser quelque peu de ses préjugés civilisés, de se défaire de vêtemens superflus, et de retourner au désert, à l’état de nature, pour le pratiquer au moins aussi bien que les sauvages, sans nulle espèce d’institution civile. Les scènes comiques ne sont point rares dans la vie des clubs grenadins « Démocrates, fondateurs de la liberté, dit un jour M. Samper Agudelo, sachez que le socialisme est la parole prononcée par Jésus-Christ sur le Golgotha. — Voici qui est étrange, répond un naïf catéchumène : je ne savais ce que c’était que le socialisme ; mais, puisque le bon Dieu a dit le mot sur le Golgotha, le socialisme est mon fait… » Et, comme il faut que la terreur se mêle à la bouffonnerie, écoutez le cri sanguinaire échappé un jour à un de ces énergumènes : « Si la mort de l’archevêque de Bogota est nécessaire au triomphe de notre cause, je suis prêt ; voici le bourreau ! »

Les journaux marchent du même pas dans cette voie. La Nouvelle-Grenade jouit de tous les bienfaits de l’état démocratique et social. La liberté illimitée de la presse y règne comme la liberté absolue des cultes. Vous pouvez être à votre gré mahométan, adorateur du soleil, idolâtre, païen, ou saper dans vingt publications jusqu’aux fondemens de la société chrétienne et civile ; le délit de presse n’existe plus. Il y a eu à la Nouvelle-Grenade des journaux qui s’appelaient le Communisme