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une assez belle place. Il demeure bien entendu que je ne mets pas Swift et Hoffmann sur la même ligne qu’Aristophane et Rabelais.

La Vieillesse de Tibère de M. Gendron, conçue d’une façon ingénieuse, nous plairait plus sûrement, si l’auteur, dans la courtisane placée aux pieds de l’empereur, n’eût pas confondu la mignardise avec la volupté. Il y a certainement quelque chose de profondément triste dans ce vieillard épuisé par les plaisirs et qui, retiré dans l’île de Capri, essaie de ranimer son sang attiédi en appelant près de lui la jeunesse et la beauté. Malheureusement M. Gendron, en traitant ce sujet, n’est pas demeuré fidèle aux données de l’antiquité : la courtisane montre les dents, et sa pose est plus maniérée que voluptueuse. En outre, il règne sur toute cette toile un ton grisâtre que rien ne motive, et qui transforme tous les personnages en figures de carton. Étant donné la couleur adoptée par M. Gendron, il est impossible d’admettre que le sang circule sous la peau. Les acteurs de cette scène n’appartiennent pas au monde des vivans : ils ne pourraient ni marcher, ni respirer. Je regrette d’autant plus vivement cette méprise, que M. Gendron a souvent fait preuve dans ses compositions de finesse et de sagacité. Pourquoi faut-il qu’il prête à la nature une couleur que nos yeux n’ont jamais aperçue ? Je consens volontiers à voir les sujets antiques traités autrement que les sujets modernes, j’accepte avec reconnaissance plus de sévérité dans les ligues, plus de sobriété dans la couleur ; mais les personnages dont nous connaissons la vie par Suétone ou par Tacite n’ont jamais pu exister avec le ton que leur prête M. Gendron. Il serait fort à souhaiter que ce jeune peintre, avant d’aborder de nouveau les sujets antiques, prît la peine de feuilleter la collection des vases d’Hamilton : il trouverait dans cette collection si précieuse un enseignement dont il saurait profiter. Dans cette série de compositions si variées, il n’y en a pas une qui puisse mériter le reproche de mignardise ; tout est simple et harmonieux. Or ces deux qualités sont précisément celles qui manquent à la Vieillesse de Tibère. Les mouvemens ont quelque chose de laborieux ; quant à l’harmonie des tons, elle est nulle, car je ne saurais donner le nom d’harmonie à la réunion des tons neutres choisis par M. Gendron. Il est trop facile de concilier les couleurs qui n’ont pas d’accent déterminé.

M. Jeanron avait souvent montré un talent très fin dans les sujets de petite dimension. Cette année, il a voulu s’essayer dans la peinture religieuse, et du premier coup, sans hésiter, il a traduit sa pensée dans les proportions de la nature. J’estime fort la hardiesse, mais je ne consentirai jamais à la confondre avec la témérité. Or je ne crains pas d’affirmer que M. Jeanron, en peignant Suzanne au bain, n’a pas consulté ses forces. Il y a certainement dans ce tableau des qualités que je