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colossale, n’est-ce pas M. Barye qui est désigné par son talent au choix de l’administration ? Si l’on veut une œuvre sérieuse, n’est-ce pas à lui qu’il faut s’adresser ?

M. Ottin, dans le groupe de Polyphème surprenant Acis et Galatée, a montré le sérieux désir de s’élever au-dessus de la réalité ; on doit regretter qu’il n’ait pas mis au service de sa pensée plus d’élévation. Or, pour tous ceux qui connaissent la poésie antique, c’est là une des plus charmantes données que l’artiste puisse rêver ; ces deux enfans, jeunes et gracieux, contenteraient tous les regards, s’ils étaient traités avec plus de finesse et de pureté. Le Faune dansant de M. Lequesne se recommande à coup sûr par le mérite de l’imitation, et je ne songe pas à contester le soin avec lequel l’auteur a reproduit toutes les parties du modèle. Malheureusement la fidélité de l’imitation ne suffit pas pour fermer la bouche à la critique, et le Faune de M. Lequesne soulève de nombreuses objections. Une question se présente d’abord, la question des lignes, que les réalistes ont voulu réduire à néant sans pouvoir y réussir. On aura beau faire, on aura beau s’évertuer, la statuaire ne pourra jamais se passer de l’harmonie linéaire. Or le Faune dansant de M. Lequesne, accueilli par tant de fanfares quand le modèle nous arriva de Rome, ne présente qu’une suite de mouvemens anguleux que la statuaire répudie. J’accepte la réalité des mouvemens, seulement je me demande si la statuaire peut se contenter de cette réalité, et l’histoire entière de l’art me répond que la réalité ne suffit pas à la statuaire. La figure de M. Lequesne, très vraie dans le sens prosaïque, devient très vulgaire dès qu’on l’envisage sous l’aspect poétique. Je ne parle pas de la fonte qui laisse beaucoup à désirer et dont M. Lequesne n’a pas à répondre, je ne parle pas des coups de rifloir qui ont effacé ou arrondi tout ce que le modèle envoyé de Rome présentait de vivant ; mais je crois devoir soumettre à M. Lequesne une observation purement mythologique. Où donc a-t-il vu des faunes porteurs de pieds humains ? Croit-il qu’il suffise d’attacher au bas de la colonne vertébrale une mèche de poils pour transformer un homme en faune ? Pour la solution de cette question, les monumens abondent. Aussi je m’étonne que M. Lequesne, qui a pu étudier à Rome, à Florence et à Naples tous les bronzes, toutes les pierres gravées qui représentent ces sortes de personnages, ait commis une telle bévue. Je me plais à reconnaître qu’il a traité avec un soin scrupuleux toutes les parties de son Faune, et je ne songe pas à lui demander pourquoi la poitrine, si ferme en plâtre, est devenue sèche en passant du plâtre au bronze. C’est le malheur de la fonte au sable et de la ciselure, dont la fonte au sable ne saurait se passer.

Je ne tiens pas à contredire l’opinion populaire, et je reconnais volontiers qu’elle a souvent raison sur des points capitaux : cependant je