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donc tous ses préparatifs avec la soigneuse régularité d’un vieux soldat de l’Océan long-temps soumis à la discipline des vaisseaux.

Le jour qui allait succéder à cette triste nuit était celui même où Simon attendait le canot de Jacques ; il fallait avertir celui-ci et lui donner de dernières instructions. Maître Lavau prit dans son coffre une de ces feuilles à titres imprimés destinées aux rapports du mois, il trouva une plume à demi écrasée, une écritoire dont il dut détremper l’encre desséchée, s’assit devant la table et écrivit. C’était habituellement pour lui une opération lente et pénible ; mais cette fois la plume marcha d’elle-même et couvrit le papier de caractères lourds et inégaux, ordinaires à ceux pour qui écrire est une rare aventure. La lettre contenait ce qui suit :

« JACQUES MERLET,


« Ceci est pour vous dire que j’ai négligé mon devoir, laissé éteindre cette nuit les feux de la tour, et que par suite le navire du Provençal est venu sur les brisans, où il a péri corps et biens. Après cela, vous comprendrez que je ne pouvais plus vivre.

« Jacques Merlet, je sais que quand je me serai tué, je n’aurai plus droit de reposer dans la terre bénite ; mais, si vous êtes un vrai chrétien, vous ne refuserez pas de dire une prière pour mon ame, ensuite de quoi vous envelopperez mon corps dans un lambeau de toile et vous le lancerez à la mer : c’est le cimetière des matelots.

« Comme vous devez arriver avec la marée du matin, je vous prie de vous en retourner vite au port, à cette fin de ramener mon remplaçant au phare avant la nuit pour que le service n’ait pas à souffrir.

« Jacques Merlet, vous trouverez sur l’îlot la fille de ma sœur Madeleine ; je la recommande à votre humanité.

« J’aurais voulu emporter ma croix dans mon linceul. ; mais je n’en ai plus le droit.

« Jacques Merlet, ceci est pour vous dire un dernier bonjour, et je souhaite que Dieu vous accorde une longue vie.

« SIMON LAVAU.

Cette lettre écrite, il y mit l’adresse, la plaça sur la table en évidence, puis monta à la chambre de l’appareil.

Le fanal était encore tel que Georgi l’avait laissé. Simon s’assura que rien n’y manquait ; il le disposa pour le lendemain ; puis, prenant la corde, il fit un nœud coulant à l’un des bouts, et fixa l’autre à la voûte. Il s’approcha ensuite de la fenêtre, comme s’il eût voulu faire ses derniers adieux à la mer. L’aube commençait à éclairer l’horizon de quelques pâles clartés ; le vent avait molli, et les flots bruissaient plus sourdement sur les écueils. Simon s’oublia quelque temps devant