Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/735

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce spectacle, dont la majestueuse monotonie lui était devenue, à son insu, un besoin. Il vit le levant s’enflammer avec lenteur et les étoiles s’effacer l’une après l’autre. Bientôt, du côté de la terre, pointa une voile blanche encore si éloignée, qu’on l’eût prise pour un goéland matinal. C’était la barque de Jacques ; dans une heure, elle devait aborder à l’îlot. Le vieux marin retourna la tête vers l’intérieur. — À ce moment, les hurlemens du chien s’élevèrent de nouveau.

— C’est bon ! murmura-t-il avec un mouvement d’impatience, attends un peu ; ton maître va être vengé.

Peu d’instans après, le patron Jacques débarquait dans l’îlot ; mais il arrivait trop tard : la funeste résolution du gardien du phare était accomplie.

Cette fin terrible désarma d’autant plus facilement le blâme public, que la perte de Bardanou et de son navire éveillait peu de regrets. Aussi la sympathie générale adoucit-elle ce que les dernières volontés de Simon Lavau avaient de trop sévère pour lui-même. Ses restes, apportés au cimetière, furent enterrés sans cérémonie religieuse dans le coin réservé aux hérétiques et aux suicidés ; mais une foule nombreuse l’y accompagna, et Robert rendit la croix pour qu’elle fût ensevelie avec le mort. Il fit plus : sur la demande de quelques notables habitans qui se cotisèrent pour assurer la pension de la pâlotte, il consentit à la garder chez lui, comme l’avait demandé Simon.

Les derniers événemens semblaient avoir donné quelque chose de plus sauvage à l’égarement de Georgi. Habituellement retirée dans les lieux solitaires, elle fuyait toutes les approches, refusait de répondre, et ne rentrait an logis que pour prendre sa nourriture. Parfois même elle faisait des absences de quelques jours, après lesquelles elle revenait amaigrie et plus farouche. Enfin elle disparut tout-à-fait, et les recherches faites sur la côte pour la retrouver furent inutiles. On pensa qu’elle avait été noyée sur quelque récit et emportée par la mer. Ce fut seulement environ une année après sa disparition que le hasard fit découvrir à quelques enfans du port la caverne du Roc brûlé. Ils y trouvèrent le cadavre de la pâlotte pétrifié par le salpêtre qui suintait de la voûte. L’idiote était couchée à terre, la tête repliée sur son bras gauche et tenant encore dans sa main droite la bague de cuivre et la médaille de plomb qui avaient appartenu à Dona.


EMILE SOUVESTRE.