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pouvaient que reconnaître un droit antérieur qu’aucune puissance humaine n’avait créé, et qu’on ne constituait pas en lui rendant hommage plus qu’on ne l’infirmait en le niant. Louis XVIII était roi dans l’exil aussi bien qu’aux Tuileries, et l’empire avait passé avec ses victoires, comme la république avec ses bourreaux, sans retrancher un seul jour de ce règne, déjà vieux de dix-neuf années. Son titre inamissible n’avait besoin ni d’être reconnu ni d’être sanctionné, car il résultait de l’acte suprême par lequel le Dieu de Tolbiac et de Bouvines avait constitué la nationalité française ; la royauté capétienne était la base de cette constitution séculaire, et la nation était aussi inséparable de son roi que nous le sommes du principe qui constitue notre vie et notre identité personnelle.

Si cette doctrine n’était pas comprise à Paris, si elle y était à peine soupçonnée, elle régnait sans contestation à Hartwell. Les nobles compagnons qui n’avaient pas déserté la royauté, lorsqu’elle était abandonnée de l’Europe, ne pouvaient renier la foi de toute leur vie au moment où la Providence semblait lui apporter une si foudroyante confirmation, et le prince qui, depuis la mort du jeune orphelin du Temple, se tenait pour investi de la royauté, devait répugner singulièrement à accepter un acte qui, en lui rouvrant les portes de la France, le contraignait de renoncer au principe de perpétuité dont il était demeuré dans toutes les fortunes le représentant opiniâtrement convaincu. Bel esprit égoïste et un peu sceptique, Louis XVIII n’avait ni le cœur ni les passions de l’homme de parti ; il avait gardé de sa jeunesse des habitudes frondeuses et des goûts de popularité parfois satisfaits aux dépens de ses plus dévoués serviteurs. Sa lutte constante contre un frère autour duquel s’était groupée dans tous les temps la portion la plus ardente de l’opinion royaliste avait fait de l’ancien comte de Provence le point d’appui naturel des hommes de transaction, et ce prince avait pris les allures et presque le caractère d’un roi constitutionnel sans en avoir toutes les croyances politiques. Son défaut de confiance dans le personnel de l’ancien régime n’avait aucunement altéré la foi royaliste qu’avaient imprimée dans son ame son sang, son éducation et une longue suite d’épreuves. Il croyait en son droit aussi fermement que Louis XIV, et tout enclin qu’il fût, comme d’autres rois de sa race, à employer les hommes nouveaux de préférence aux grands seigneurs et à faire prévaloir la politique de conciliation sur la politique de parti, il n’admettait ni le doute ni la controverse sur l’origine et sur l’étendue de sa puissance souveraine.

La manière nette et précise dont la déclaration du sénat réservait le droit supérieur de la nation contrariait donc sensiblement Louis XVIII ; mais il avait l’instinct trop droit pour le laisser paraître alors qu’il ne pouvait encore disposer d’aucune force qui lui fût propre. Ce prince n’était en effet rappelé ni par les efforts ni même par l’initiative de son