Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/739

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de fidélité. Plus de conscription, plus de droits réunis ! s’écriait le comte d’Artois en passant la frontière, mot imprudent peut-être, mais qui assurait au prince un accueil chaleureux au sein de populations qui ne savaient rien ni de sa famille ni de lui-même. Ce programme était, en avril 1814, l’expression du vœu populaire jusque dans ces campagnes de l’est qui, dominées par de vieilles appréhensions plus vives que de récentes souffrances, devaient, une année plus tard, porter sur leurs bras, de Grenoble à Paris, le guerrier redevenu pour elles le vivant symbole de la révolution et de la nationalité française. Quand la fille de Louis XVI était accueillie avec enthousiasme à Bordeaux, la part des intérêts froissés était plus grande dans cette manifestation que celle des opinions politiques, et la ville du 12 mars, ruinée par la chute du commerce maritime et colonial, faisait aux promesses de la restauration l’accueil qu’elle réservait trente ans plus tard aux doctrines du libre-échange. Le conseil municipal de Paris, qui, devançant les résolutions du sénat, affichait, le 2 avril, sur l’initiative hardie de M. Bellart, une proclamation dans laquelle il indiquait comme vœu national le rétablissement de l’ancienne monarchie, cédait à la pression d’intérêts financiers et commerciaux beaucoup plus qu’aux souvenirs d’un passé disparu de la mémoire de la génération contemporaine.

Si la restauration fut pour M. de Talleyrand une intrigue, pour le sénat une spéculation, elle fut donc pour la bourgeoisie un calcul, et pour les masses une halte bénie dans la voie sanglante où elles avaient épuisé leurs forces ; nais, tandis que le rétablissement de la maison de Bourbon se présentait aux yeux de la plus grande partie de la nation sous cet aspect tout positif, cet événement revêtait un caractère très différent pour les fidèles serviteurs dont les cheveux avaient blanchi au service et dans l’attente de la royauté exilée. C’était l’accomplissement de leurs longues croyances soudainement réalisées, la sanction imprimée par le ciel aux espérances de toute leur vie, la captivité de Babylone miraculeusement terminée. La restauration des Bourbons devenait à leurs yeux la condamnation implicite des actes consommés depuis vingt-cinq ans ; c’était un arrêt porté par le ciel même contre les hommes qui avaient ou servi ou défendu la révolution dans toutes ses phases et sous toutes ses formes, depuis la terreur jusqu’à la gloire.

De là deux écoles en même temps que deux partis, deux manières d’envisager le rétablissement de la royauté, d’entendre son droit, d’expliquer son origine et de comprendre ses devoirs envers la France et envers elle-même. Pour les uns, Louis XVIII était appelé au trône comme frère du dernier roi des Français, et son autorité ne préexistait point à l’acte du sénat qui lui conférait la royauté sous l’expresse condition de jurer les institutions dont cet acte déterminait les bases, institutions qui devaient être d’ailleurs formellement soumises à la sanction de la nation ; pour les autres, le sénat et la France elle-même ne