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pères ; les repoussemens de sa famille étaient plus énergiques encore, et le roi n’avait pas atteint Paris, que tout ce qui survivait de talons rouges et de présidens à mortier assourdissait ses oreilles des us et coutumes de la France monarchique et du jargon des lits de justice. En ceci comme en tout, la mission de Louis XVIII n’était pas de briser les obstacles, mais de les tourner, et son devoir lui commandait la prudence plus que l’héroïsme. Aussi, en s’engageant à mettre la charte octroyée par lui sous les yeux des mandataires de la nation réunis en corps législatif, échappa-t-il par une équivoque à l’obligation qu’on entendait lui imposer. Contraint de se faire accepter de ses sujets nouveaux comme de ses vieux serviteurs, le roi-législateur devait parler deux langues et professer un double symbole. Le préambule de la charte rapproché de son texte donne la mesure de cette situation difficile. Aux yeux de la noblesse émigrée, le préambule fit supporter la charte ; aux yeux de la bourgeoisie, les dispositions libérales de la constitution firent passer le préambule.

Le droit publie consacré par la charte de 1814 était, dans chacune de ses dispositions, empreint du caractère de cette politique hybride imposée au législateur par des circonstances plus fortes que les volontés humaines. Ici, le principe de l’exercice collectif de la puissance législative par les deux chambres et par le roi était reconnu dans toutes ses conséquences ; là, un pouvoir mystérieux se glissait timidement à la queue de l’art. 14, sous une rédaction ambiguë. L’art. 5 posait le principe de la liberté des cultes, et prescrivait à l’état de les protéger également, tandis que l’article 6 attribuait à la religion catholique le titre de religion de l’état avec une sorte de prééminence dont les conséquences pratiques étaient à peu près insaisissables. La rédaction presque contradictoire de ces dispositions attestait que le législateur avait à ménager deux convictions opposées, celle qui ne permettait point à la monarchie de saint Louis de paraître indifférente entre l’erreur et la vérité, et celle qui voyait dans la liberté de conscience la première conquête de la révolution et la plus impérieuse nécessité d’une société sans croyances communes. Par une application de la même politique, la charte proclamait la restauration de la noblesse conséquence obligée de la restauration monarchique, mais elle se hâtait de déclarer que le roi ne pourrait accorder aux nobles que des titres et des honneurs, sans aucun droit politique ; ce qui enlevait à l’institution nobiliaire tout caractère sérieux, et la réduisait à un impôt payé par la vanité au profit de la caisse du sceau.

L’antagonisme avec lequel le roi était contraint de transiger dans toutes les questions de principes s’imposait à lui d’une manière plus rigoureuse encore dans toutes les questions de personnes. Lorsque, par son ordonnance du 30 mai 1814, il composait la chambre des pairs, il dut ouvrir tour à tour l’almanach de Versailles et l’almanach de l’empire