Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/743

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour y appeler, en nombre parfaitement égal, des sénateurs et des généraux d’une part, des ducs et pairs et des gentilshommes émigrés de l’autre. Les mêmes difficultés commandaient les mêmes ménagemens jusque dans la composition de la maison royale et l’organisation du service personnel de la royauté. Louis XVIII appelait au commandement de ses gardes deux maréchaux de l’empire en même temps que deux compagnons d’exil ; et s’il distribua aux fidèles combattans de la Vendée l’étoile de la Légion-d’Honneur avec une prodigalité calomniée par l’esprit de parti, les pages du Moniteur attestent qu’il ne se montra pas moins prodigue de l’image de son aïeul saint Louis en faveur des glorieux débris de nos grandes armées.


II

Ainsi s’élevait cette constitution, humble fille des circonstances, bien moins sur des doctrines propres à elle-même que sur le dualisme de principes irréconciliables et sur l’opposition plus implacable encore des intérêts et des vanités. La charte de 1814 aspirait moins à dominer la société qu’à la réfléchir : elle chercha moins à vaincre la révolution qu’à réconcilier celle-ci avec l’antique royauté par un système d’habiles tempéramens. Ni les temps, ni les mœurs, ni les hommes ne comportaient autre chose, et Louis XVIII aurait uni l’intelligence de Machiavel à l’énergie de Richelieu, que l’obligé de M. de Talleyrand et de l’empereur Alexandre, placé entre l’émigration et l’empire, entre le sénat et les alliés, n’avait pas à entreprendre une autre tâche et à poursuivre une autre gloire.

Tous les partis s’étaient accordés jusqu’à ce jour pour payer cet hommage au prince bien inspiré qui, entre deux révolutions également fatales à sa race, avait su conquérir et garder à Saint-Denis une tombe près de ses pères ; mais le respect qui protégea long-temps cette royale mémoire n’arrête plus certains écrivains, qui, ne se contentant pas de poursuivre la monarchie parlementaire après sa chute, l’attaquent encore à son berceau, imputant au mode de gouvernement organisé par la charte de 1814 toutes nos agitations, toutes nos angoisses, et jusqu’aux extrémités où nous ont conduits des périls plus humilians encore qu’ils ne sont redoutables pour une société civilisée. Au dire de ces publicistes, en organisant chez nous le gouvernement représentatif, et, pour parler leur langue, en habillant la France à l’anglaise, Louis XVIII l’aurait enveloppée de la tunique de Déjanire. Pour dégager la mémoire de l’auteur de la charte des reproches posthumes qui succèdent aux éloges dont on enivra sa vie, peut-être suffirait-il de constater que l’établissement du système représentatif fut la condition formelle du rappel des Bourbons, et d’apprendre à ceux qui l’ignorent que, si Louis XVIII n’avait pas pris un engagement précis sur ce point, il n’aurait