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Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/753

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haines : il poursuivait à la fois, avec une logique impitoyable, et le triomphe de ses idées et l’anéantissement de ses ennemis. On voyait des hommes fervens dans leur piété, doux dans leurs mœurs, désintéressés dans leur vie, lutter avec fureur contre la clémence du prince, pour imposer à la royauté le fardeau de justices qu’elle n’était pas assez forte pour porter : spectacle déplorable sans doute, mais qui offusque encore plus notre scepticisme que notre humanité, et qui s’expliquait naturellement dans ces jours où tant de passions s’allumaient au foyer de convictions profondes. Le propre de l’opinion royaliste en France est d’être une religion plus qu’une doctrine politique, et de transformer ses serviteurs en croyans ; c’est à la fois et ce qui l’empêche de périr et ce qui l’empêche de s’étendre. La révolution militaire du 20 mars et ses suites désastreuses avaient donné à cette opinion une puissance qu’elle n’avait pas encore possédée ; elle se tenait pour appelée à exercer sur la société bouleversée par la révolution française une mission de reconstitution et de salut, et on la vit développer tout à coup une énergie et une décision qu’il est impossible de méconnaître. Autant le parti royaliste avait été pauvre dans ses plans et incertain dans ses allures durant la première restauration, autant il se montra ferme dans ses vues, résolu dans son langage et dans, ses actes au sein de cette chambre de 1815 qui engagea contre la société nouvelle un hardi duel, dans lequel elle apporta la triple puissance de la bonne foi, de la passion et du talent.

Nous entendons beaucoup parler de restaurer l’autorité, de rétablir l’ordre dans la société et dans les intelligences, en reconstituant le pouvoir, trop long-temps miné dans ses bases et avili dans ses organes ; mais, lorsqu’il faut sortir de ces formules générales pour en préparer l’application, les esprits les plus résolus éprouvent des défaillances : on se sent comme enlacé par mille liens invisibles, et les théories viennent se briser presque toujours contre d’inexorables réalités : Les choses ne se passaient point ainsi dans la chambre introuvable ; à chaque anathème qui partait de cette ardente tribune contre la révolution et la démocratie moderne correspondait une proposition législative. On ne se contentait ni de l’état de siége, ni des gendarmes, ni de la censure une majorité compacte proposait nettement de commencer la reconstitution de la société par celle de la famille, et de donner au pouvoir la religion pour base, le clergé et l’aristocratie terrienne pour instrumens et pour appuis. Les cent-jours ayant déchiré l’espèce de convention synallagmatique souscrite par la dynastie l’année précédente, l’œuvre du parti royaliste changeait de nature et devenait tout organique. L’horizon de ce parti s’élargissant avec sa fortune, il passa du culte larmoyant d’une royauté adorée à une politique d’action qui comprenait dans son ensemble tous les intérêts moraux et matériels