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Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/76

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engagemens étaient reçus dans le Colisée. » Singulier tableau, n’est-il pas vrai ? que celui de cette ville où se rencontrent toutes les nations de la terre pour partager les mêmes passions quand ce n’est pas pour y partager les mêmes croyances, pour y admirer en commun quand ce n’est plus pour y prier ensemble ! Marguerite nous fait très bien sentir en maint endroit ce caractère catholique de la ville éternelle, qui n’est la propriété d’aucun peuple, mais le rendez-vous de tous, et qui, après avoir renversé le gouvernement universel du pape, va voir s’établit dans ses murs non une république romaine, mais le gouvernement cosmopolite de Mazzini. Le mélange des choses anciennes et des choses modernes est aussi bien saisi et reproduit. C’est dans le Colisée que les volontaires s’engagent, comme nous venons de le voir, c’est près du tombeau de Cecilia Metella que manœuvre la garde civique. « Ce matin, écrit-elle, je suis sortie avec la moitié de Rome pour voir la garde civique manœuvrer dans le champ immense qui s’étend près de la tombe pleine de ruines de Cecilia Metella : l’effet était saisissant ; la musique jouait la marche bolonaise, et six mille Romains passaient, rangés en bataille, parmi ces fragmens des anciens temps. »

Au milieu des événemens, Marguerite ne sait pas conserver l’indépendance de son jugement, et ses sentimens sont mobiles comme eux elle partage toutes les passions changeantes de la foule et pousse les mêmes acclamations ; elle crie vive Pie IX lorsque le pape est encore populaire, et le juge un saint ; puis, lorsqu’elle entend la populace éternellement insolente répondre à son refus de déclarer la guerre à l’Autriche par les mots de traître et même d’imbécile, peu s’en faut, hélas ! qu’elle ne fasse chorus avec elle. « Je n’avais pas reçu votre lettre, écrit-elle alors à Emerson, dans laquelle vous me demandez pour *** un rosaire béni par Pie IX ; aujourd’hui je suppose qu’elle ne le désire plus, car qui pourrait attacher quelque valeur maintenant à la bénédiction de Pie IX ? » Malgré tout le tapage qui se fait autour d’elle, Marguerite essaie quelquefois de retrouver le silence et la solitude de la Rome d’autrefois. Vains efforts ! les tambours battent, le peuple pousse des acclamations, elle entend sous ses fenêtres des cris de mort ou de guerre. Alors involontairement, fatalement, elle se mêle aux choses extérieures, sympathise ou s’indigne. Si elle a sympathisé avec les républicains mazziniens plutôt, je crois, que participé à leurs actes, une raison peut l’excuser : c’est l’état dans lequel se trouvait son ame à l’époque de la révolution romaine. Marguerite avait alors perdu toute son ancienne force de volonté, elle ne se souciait plus d’exercer aucune domination, elle demandait au contraire à ne plus vouloir, à ne plus penser, elle cherchait un maître et un dominateur ; elle trouva tout cela dans les événemens, elle s’oublia dans le spectacle des choses extérieures. « Autrefois, écrit-elle de Rome, j’avais formé la résolution