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Vaublanc, mais inspiré par les hommes de pratique et d’affaires, entre lesquels MM. Pasquier, Molé, de Serre, de Barante, tenaient déjà la première place, il tendait à maintenir l’influence prépondérante à l’administration, comme le projet de M. de Villèle aspirait à la transmettre à la propriété agricole. Rédigé d’après les traditions de l’école impériale, à laquelle se rattachaient ces esprits distingués, ce projet admettait aussi deux degrés dans l’élection ; mais il constituait les collèges au moyen de listes de notables et d’adjonctions dans lesquelles dominaient les fonctionnaires publics, investis par leurs fonctions mêmes du droit électoral. Enfin une idée plus hardie commençait à se faire jour entre ces deux systèmes. M. Lainé, appelé au ministère de l’intérieur, la patronait comme la plus nette et la plus loyale des combinaisons, et le caractère logiquement absolu de ce projet lui assurait la chaleureuse adhésion d’un groupe d’hommes qui occupaient déjà une grande place dans le gouvernement, quoiqu’un canapé les réunît encore. Il s’agissait de faire pour la première fois une sérieuse application du principe de l’élection directe et de conférer purement et simplement le droit électoral à tout citoyen payant 300 francs d’impôt.

Ainsi se révélait un antagonisme de plus en plus profond entre les ministres du prince et ses vieux amis des mauvais jours, entre l’opinion royaliste et les serviteurs officiels de la royauté. Questions constitutionnelles, questions religieuses, questions financières, tout provoquait des débats où les passions monarchiques empruntaient aux passions révolutionnaires et leur langage et leurs allures. Il y avait je ne sais quoi d’étrange et de dépaysé dans l’attitude de ce parti de gentilshommes devenus tribuns par dévouement et presque factieux par fidélité. On s’y mettait en règle avec sa foi politique en déversant sur les agens responsables de l’autorité royale les flots de fiel et d’amertume qu’on n’osait faire monter jusqu’à elle. Dans un parti composé de gens de bien et d’hommes de bon goût, M. Decazes devenait l’objet d’une haine portée jusqu’à l’extravagance et de poursuites poussées jusqu’au ridicule, bien moins à raison de ses opinions, d’ailleurs énergiquement répressives au début de sa carrière ministérielle, qu’à cause de la faveur du prince qu’on trouvait l’occasion d’atteindre dans la personne d’un favori. La chambre engageait chaque jour contre la couronne, par ses propositions législatives, la lutte la plus acharnée comme la plus inconstitutionnelle, puisque le principe de l’initiative royale était formellement consacré par la charte de 1814. Une assemblée monarchique jusqu’à la fureur proclamait sur l’étendue de ses pouvoirs et l’inviolabilité de sa prérogative des maximes devant lesquelles auraient reculé, vingt ans plus tard, les chambres souveraines de la monarchie consentie, tant il est vrai qu’au sein du parti royaliste les mœurs l’emportaient aussi sur les doctrines, et que cette opinion participait elle-