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LES MOEURS


ET


LA LITTERATURE NEGRES.




Ceci est la Genèse nègre : — Au commencement des choses, Bondieu fit trois hommes noirs et trois femmes noires, trois hommes blancs et trois femmes blanches, et, pour leur ôter d’avance tout prétexte de récriminations, il leur laissa le choix du bien et du mal, en permettant néanmoins aux trois couples noirs, pour qui il se sentait un faible, de choisir les premiers. Sur la terre furent posés un papier collé et une grande calebasse. Les noirs, jugeant que les plus gros morceaux sont les meilleurs, choisirent la calebasse, et, l’ayant ouverte, ils n’y trouvèrent qu’un morceau d’or, un morceau de fer et d’autres métaux dont ils ne connaissaient pas l’usage. De leur côté, les blancs ouvrirent le papier collé, et c’était un papier parlé (papier écrit) qui leur promettait tous les biens. Les noirs allèrent cacher leur dépit dans les bois, et Bondieu conduisit les blancs au bord de la mer, où il venait toutes les nuits converser avec eux. Il leur apprit à construire un vaisseau, puis les mena dans un autre pays, d’où ils revinrent, beaucoup d’années après, pour commercer avec les noirs. — Voilà pourquoi les noirs, délaissant Bondieu qui les délaissait, ont tourné leurs adorations vers les esprits inférieurs, et voilà pourquoi blanc toujou gagné papier nan poche pour moqué nègue[1].

J’ignore où en sont les Ashantis, de qui vient cette tradition[2] ; mais

  1. « Le blanc a toujours un papier en poche pour tromper le nègre. » (Proverbe haïtien.)
  2. On la retrouve, à quelques variantes près, dans le royaume de Benin.