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La mer, métamorphosée en trombe, s’élança à la rencontre de la nuée ; mais, au premier choc, la foudre jaillit et brisa la colonne d’eau, qui s’affaissa en mugissant cet aveu : « Je puis éteindre le feu de la terre, mais pas le feu du ciel. »

Bondieu, qui riait dans sa barbe, prit la mer au mot. Il envoya ses anges lui quérir une des petites pierres jaunâtres qui jonchaient la terre, plaça dessus un morceau d’amadou, battit le briquet et alluma sa pipe, — histoire de prouver que cette pierre était bien un silex et contenait du feu ; — puis, la jetant dans la mer : « Amoncelle, dit-il, tes vagues, et essaie d’éteindre l’étincelle de ce caillou.

Chai Bondieu, répondit l’Eau, dont le ton devenait de plus en plus humble, j’en ai des millions de milliards dans mon sein, et je n’ai jamais pu en éteindre un seul.

— C’est bien, » dit Bondieu, et se tournant vers le Vent : « O Vent ! essaie de faire disparaître la mer. » Le Vent, dont l’humiliation de l’Eau avait redoublé l’orgueil et la force, se déchaîna des quatre points cardinaux à la fois sur les vagues et les souleva en un tourbillon si rapide, qu’on put croire un moment que l’Eau allait être exilée par son ennemi furieux dans les solitudes du troisième ciel ; mais la montagne liquide atteignait à peine les plafonds du premier ciel, que, cédant à son propre poids, elle s’affaissait sur elle-même et refoulait à son tour le Vent dans toutes les directions. Bondieu eprit : « Tu n’as pu tarir la mer ; mais tu tariras certes ce petit ruisseau qui se cache là-bas dans les herbes. » Le Vent, dont le dépit décuplait cette fois la violence, se rua sur son humble antagoniste avec une rage telle que, du premier coup d’aile, il fit tomber les forêts, hurler les cavernes et trembler les montagnes ; mais, glissant sans y trouver prise sur la surface polie du ruisselet, il parvint à peine à le rider.

Après avoir joui de la confusion mutuelle des élémens, Bondieu dit d’un ton semi-paternel, serrai-courroucé : « Toi, Eau, qui prétendais éteindre le Feu, et qui n’as pas même eu raison de l’humble étincelle qui dort dans le caillou ; toi, Vent, qui voulais chasser la mer de son lit, et qui n’as pas même su nous montrer le lit de ce ruisseau., comprendrez-vous, Eau et Vent, qu’il n’appartient pas à des coquins d’esclaves de troubler l’ordre de ma maison ? » Bondieu, qui est très causeur, surtout quand il prend pour interprète un candio, Bondieu prêcha long temps là-dessus et se résuma en ce proverbe : « Chouval rété rien zécurie, milete nen savanne ; que le cheval reste à l’écurie et le mulet dans la savane (chacun son lot). »

Le philosophe qui me lirait, si un philosophe savait lire, trouverait apparemment ma version bien sobre et bien décolorée ; mais c’en est assez pour laisser entrevoir l’excentrique tohu-bohu de grandiose