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Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/804

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et ils arrivent bientôt à adorer le repos et le calme : c’est la loi éternelle des réactions. On glorifiait récemment avec quelque émotion lyrique le soleil clément et radieux qui éclaira, le 4 mai 1848, l’inauguration définitive de la république nouvelle, Malheureusement le soleil de cette époque a éclairé bien d’autres scènes ; il a éclairé des batailles de quatre jours, le travail des sectes, la stagnation de la vie nationale, les progrès croissans de l’anxiété publique. Les dernières choses que nous nous sentions le goût de réhabiliter pour notre part, ce sont celles qui font naître ces suprêmes angoisses. Quoi qu’il arrive, il n’est point douteux, comme on le dit, mais dans un tout autre sens qu’on ne le dit, que la révolution de février aura été le véritable point de départ d’une situation toute nouvelle. S’il a été permis d’attendre mieux pour la France d’autres institutions, nous ne nous faisons point illusion, ce n’est point d’hier que ces institutions sont mortes, ni il y a trois mois : c’est le 24 février qui les a tuées, en faisant prévaloir d’autres principes, en mettant en jeu d’autres forces, et en plaçant la société dans cette extrémité redoutable où une question de conservation universelle devait dominer toute autre question. La révolution de février a eu cet effet, rien n’est plus vrai, de changer les conditions morales et politiques de la France et du monde, pourrait-on dire. Souvenez-vous, en effet, de ce qu’était l’Europe en 1847, des tendances qui dominaient, et observez ce qui en est aujourd’hui ! Voyez quels courans règnent et se propagent, quelles transformations s’opèrent, quels instincts se font jour ! Dans cet ordre de symptômes, la fête du 10 mai a sa place, à coup sûr. Joignez à un sentiment de sécurité matérielle du moment le goût naturel du peuple pour les fêtes, la promptitude de l’imagination française à s’enflammer aux spectacles militaires, les pompes religieuses se mêlant à la résurrection d’un symbole guerrier, la variété des costumes, les chefs arabes à côté des généraux de la patrie de Washington, — cela suffit bien, il nous semble, à expliquer l’étrange affluence qui s’est fait remarquer parmi nous dans ces derniers jours. Paris a été un peu pris d’assaut pacifiquement. On a pu entendre toutes les langues et tous les dialectes. La province a reflué vers le centre ; les étrangers ont rempli nos rues ; peut-être n’ont-ils pas eu tous les genres d’intérêt qu’ils se promettaient : l’empire n’a point été proclamé au milieu de la distribution des aigles. Quant à ajouter que la république s’en porte mieux, ce serait beaucoup dire sans doute.

Le malheur de la république en France, c’est de s’être identifiée avec le socialisme. Elle portera long-temps la peine de cette assimilation, que ses adversaires lui opposent comme une fatalité de ses doctrines, et que beaucoup de ses sectateurs ont cru habile d’accepter. En fait, c’est principalement sous cette forme du socialisme que la république a pénétré dans les campagnes. Il n’est point facile de gagner les ames simples et ignorantes aux savantes abstractions du radicalisme et à la métaphysique de la souveraineté du peuple ; il est infiniment plus aisé de pénétrer jusqu’à elles en caressant leurs passions et leurs convoitises, en fomentant ces haines sourdes et instinctives de la misère contre la richesse, de la grossièreté contre le luxe, de l’ignorance contre les supériorités morales. C’est ce genre de ravage, souvent dévoilé depuis quelques années par mille publications, par mille incidens de tribunaux, que mettent encore à nu les rapports des commissaires extraordinaires envoyés dans les départemens