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Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/817

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palais des rois d’Espagne. Nous ne devons donc pas être surpris si, vers la fin du XVIe siècle, un art tout nouveau, d’un éclat et d’une puissance incomparables, fait subitement explosion sur cette terre ingrate jusqu’alors, et si les trois grandes écoles de Valence, de Séville et de Madrid succèdent à la vieille et rude école de Tolède. Cette période fut aussi courte que brillante ; elle est renfermée dans l’espace d’un peu plus d’un siècle, de 1560, époque du retour d’Italie de Fernandez de Navarette, ce muet homme de génie, à 1682, année de la mort de Murillo.

La collection du maréchal Soult comprend de nombreux morceaux des principaux maîtres de chacune des grandes écoles espagnoles. Les peintres primitifs y sont représentés par Luis de Vargas, Vincent Joanès et Moralès. D’énergiques compositions de Sanchez Coello, de Roelas et de Fernandez de Navarette indiquent le passage de ces vieilles écoles à la grande et belle époque de l’art illustré par les Murillo, les Ribeira, les Zurbaran, les Alonzo Cano et les Vélasquez. Quinze compositions de Murillo, sept Ribeira, vingt Zurbaran, sept Alonzo Cano, et plusieurs tableaux des deux Herrera, de Pacheco et de Ribalta, résument cette période de l’art à son apogée. Puis viennent les brillans imitateurs des maîtres : Pareja, l’élève de Vélasquez, Gomez le mulâtre, élève de Murillo, Ayala, l’élève de Ribeira, Menezès Ozorio, Llano y Valdo, Solis, Valdez Léal, Tobar, Antolinez, qui tous se distinguent par des qualités originales, et dont le plus grand tort est d’arriver les derniers, quand il ne reste plus qu’à glaner dans le champ de l’art.

Nous ne voulons examiner ici que les plus importantes et les plus intéressantes de ces compositions. La Voie des douleurs, de Moralès, surnommé le divin, est la première en date. Est-ce le même tableau que Philippe II fit placer chez les hiéronymites de Madrid, qui s’appelait aussi la Voie des douleurs, et qui était considéré comme le chef-d’œuvre du maître ? Il ne nous a pas été possible de nous en assurer. Toujours est-il que c’est un morceau fort remarquable. La Voie des douleurs est bien nommée, car jamais le pinceau n’a exprimé la désolation humaine d’une manière plus pathétique. La Vierge, appuyée contre la croix, soutient d’une main la tête de son fils, dont les yeux sont éteints et vides, et les lèvres violacées. La couronne a laissé sur le front du Christ quelques-unes de ses épines qu’on entrevoit sous la peau, et des gouttes de sang se sont figées le long des tempes. C’est la mort dans toute son horreur, la mort après la longue agonie de la passion et le supplice de la croix. Les figures de la Vierge, de la Madeleine et de saint Jean contrastent admirablement avec la face livide et émaciée du Christ. Tous gémissent, tous pleurent, tous contemplent le corps inanimé du divin Sauveur avec une expression de regret et de suprême douleur.

Un Ecce Homo de Vincent Joanès, le coryphée de l’école de Valence, se rapproche beaucoup plus des maîtres primitifs italiens que de la Voie des douleurs de Moralès, dont certaines parties, la barbe par exemple, semblent avoir été traitées par Albert Dürer. Vincent Joanès avait étudié les premiers maîtres de l’école romaine. Palomino le déclare l’égal de Raphaël, contre lequel il a tenté parfois une lutte courageuse, mais inégale.

Un des tableaux les plus extraordinaires de la galerie du maréchal Soult est l’Abraham devant les Anges, de Fernandez de Navarette, el Mudo, le fameux