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amène Joachim son époux. Des chérubins se sont joints aux anges pour assister l’accouchée et son enfant. Murillo a mêlé à cette scène un trait d’une aimable naïveté : un jeune chien placé auprès du groupe des chérubins, et qui prend ces charmantes créatures pour les enfans du logis, les agace en jappant. Ce tableau est éclairé par quatre foyers distincts, et cela sans confusion et sans papillotage. Murillo s’était créé d’immenses difficultés, dont il a heureusement triomphé, car le tableau de la Nativité se distingue surtout par la magie du clair-obscur et l’harmonieux accord de toutes les parties.

Le Miracle de san Diego, une des plus vastes compositions de Murillo, nous offre une de ces scènes familières et sublimes que l’artiste, encore pénétré des traditions mystiques de l’ancienne école, mais déjà séduit par l’admirable naturalisme de Vélasquez, son protecteur et son ami, s’est complu à traiter, quand, après un séjour de huit années à Madrid, il retourna à Séville et s’y fixa en 1645. Ce tableau porte en effet sur une légende la date de 1646. Le peintre nous introduit dans une vaste salle, servant à la fois de cuisine et de réfectoire à un couvent de cordeliers. La famine désole le pays ; les moines sont menacés de mourir de faim ; saint Diégo, leur supérieur, invoque l’assistance céleste ; Dieu l’exauce ; il entre en extase, et une troupe d’anges vient en aide aux religieux. L’extase du saint est fort heureusement exprimée. Agenouillé, les mains jointes, et comme enveloppé d’une auréole lumineuse, la foi l’a détaché de la terre, et il semble flotter à quelques pieds du sol ; sa face béate exprime le plus profond ravissement. Pendant ce temps, les anges se sont emparés de la cuisine du couvent. Ces nobles et sveltes créatures, qu’à l’élégante pureté de leurs formes, à la beauté de leurs traits, à la majesté de leur attitude, on prendrait, sans leurs grandes ailes, pour des statues que le souffle d’un dieu aurait animées, se sont partagé les diverses occupations du ménage : l’un tient une cruche à la main ; un autre écume la vaste marmite de cuivre où cuit le repas des moines ; un troisième place des assiettes sur une table. De petits chérubins leur viennent en aide : l’un d’eux pile quelques ingrédiens dans un mortier, tandis que les autres déballent un panier de légumes. Dans le fond de la salle, le cuisinier, auquel ses divins suppléans ne laissent rien à faire, les contemple avec une sorte de naïve admiration. Sur le premier plan, à gauche, deux gentilshommes vêtus de noir entrent dans le réfectoire, conduits par un des frères cordeliers ; la vue du miracle les retient immobiles sur le seuil de la porte. Leur attitude, plus encore que leur physionomie d’une gravité tout espagnole, exprime admirablement l’étonnement et le respect. Ces trois personnages, détachés du reste de la composition, formeraient à eux seuls un tableau que Vélasquez ou Van-Dyck n’eussent pas désavoué. Cette grande page est digne du peintre de la Sainte Élisabeth de Hongrie, qu’on voit au musée de Madrid, et, comme ce chef-d’œuvre de Murillo, elle emprunte son plus grand charme au mélange du style noble et du genre familier : il est impossible d’imaginer un plus heureux agencement des groupes, une distribution de la lumière plus savante et plus large, une exécution des détails plus pittoresque et plus magistrale. Il semble, à voir le merveilleux rendu de certains accessoires, comme ces fruits, ces cruches et ces marmites de cuivre luisant, que Murillo ait voulu entrer en lutte avec Vélasquez. Tout dans ce beau tableau respire cette aisance incomparable et cette grace souveraine qui semblent la santé du génie.