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l’ombre d’un pin et d’un églantier : sa barbe a l’éclat de la neige, son corps est noble et bien taillé, son front majestueux. À qui le cherche, il n’est besoin de l’enseigner.

Les messagers païens, descendus de leurs mules, saluent humblement l’empereur. Blancandrin prend la parole et montre à Charles les riches et nombreux trésors que son maître lui envoie. Puis il ajoute : « N’êtes-vous donc point las de rester en notre pays ? Si vous retourniez en France, le roi notre seigneur s’engage à vous y suivre. »

L’empereur lève ses mains vers Dieu, puis, la tête penchée, commence à réfléchir. Telle était sa coutume, jamais ne se hâtant de parler. Enfin il se redresse et dit aux messagers : « Vous avez bien parlé, mais votre roi est mon grand ennemi. Qui me garantira l’effet de vos paroles ? — Des otages, répond le Sarrasin : vous en aurez dix, quinze ou même vingt. Vous aurez mon propre fils. Quel otage plus noble pourrait-on vous donner ? Quand vous serez dans votre palais seigneurial, à la grande fête de Saint-Michel, mon maître vous y suivra : c’est là, dans ces bains que Dieu a faits pour vous, qu’il veut devenir chrétien. » Et Charles répond : « Il peut donc se sauver encore ! »

La journée était belle, le soleil éclatant. Charles fait dresser dans le verger une grande tente pour les dix messagers. Ils y passent la nuit.

De bon matin l’empereur est levé. Il entend messe et matine, et s’en vient, sous l’ombre d’un grand pin, tenir conseil avec ses barons, car il ne veut rien faire sans eux.

Bientôt ils sont tous présens, et le duc Oger, et l’archevêque Turpin, et Roland, et le preux Olivier, et Ganelon, qui les doit tous trahir. Alors s’ouvre le conseil.

Charles répète à ses barons les paroles de Blancandrin. « Marsille viendra-t-il à Aix ? s’y fera-t-il chrétien ? sera-t-il mon vassal ? Je ne sais qu’en penser. »

Et les Français répondent : « Prenez-y garde. »

Roland se lève et dit : « Ne croyez à Marsille ! Voilà sept ans que nous sommes en Espagne, Marsille ne vous a fait que trahison. Quinze mille de ses païens sont déjà venus à vous, portant des branches d’olivier et les mêmes paroles qu’aujourd’hui. Vos conseillers vous engagèrent à donner quelque trêve. Que fit Marsille ? Il décapita deux de vos comtes, Basan et Basille son frère. Faites la guerre, faites-la comme vous l’avez entreprise : conduisez votre armée devant Saragosse, mettez le siége et vengez ceux qu’a fait périr le félon. »

L’empereur en l’écoutant rembrunit son visage, se caresse la barbe et ne répond rien à son neveu. Tous les Français se taisent. Ganelon seul, d’un air hautain, se lève, s’avance vers l’empereur et lui tient ce discours : « N’écoutez pas les étourdis, n’écoutez ni moi ni personne, n’écoutez que votre avantage. Quand Marsille vous mande, à mains